Ledit Théologiste

Du proverbe à la réalité

Un peu partout, sur les réseaux sociaux, fleurissent de bien belles métaphores, de charmantes petites phrases, de joyeux dictons. Ainsi, si vous passez une journée devant la timeline d’un blogueur voyage, vous en verrez immanquablement s’afficher quelques unes. Certaines sont philosophiques, d’autres pratiques et d’autres encore ****iques voire même franchement capillotractiques. Pour trouver lesdites citations, nul besoin d’aller chercher midi à quatorze heures, de tirer le diable par la queue ou bien de compter les pattes d’un quadrupède manchot: une petite recherche Google « citation voyage » et direction la rubrique adéquate sur Evene et ses 390 résultats,  aussi variés que surprenants et dont les sources d’origine vont du film au Tibet en passant le théâtre, les livres ou même les anonymes. Curieux de nature, je m’interroge: toutes ces citations peuvent-elles donc se confronter au vécu, à l’expérience, au terrain ?
C’est l’enjeu (et le jeu) de l’article du jour !

Du Proverbe à la réalité

Qui veut voyager loin ménage sa monture
Proverbe

Un classique qui sous-entend, vaguement, que le voyage ne peut devenir lointain qu’au prix de mille et une précautions vis-à-vis de son engin de déplacement. Si je passais mon temps à bourlinguer à pied, alors oui, je prendrais soin de mes chaussures avec un luxe fou. Par contre, quand je pars en Nouvelle-Zélande, je ne ménage en aucun cas l’avion qui m’a servi à y aller. Donc, celui-là: Mouais, partiellement vrai.

Il voyage plus vite celui qui voyage seul.
Rudyard Kipling – Les vainqueurs

Je ne sais pas quelle est votre expérience, à vous lecteur, des voyages en groupes. Qu’ils soient organisés, entre amis ou amoureux, temporaire ou à long terme, je crois que, dans tous les cas, groupe est synonyme de lenteur. Entre ceux qui ne sont pas d’accord sur le planning, la destination, l’hébergement, le budget et sa gestion, entre ceux qui veulent randonner et ceux qui veulent dormir, entre ceux qui dépensent pour ceux et les aigrefins définitifs, c’est un cauchemar sans fin. Je valide donc à 100%.

Le voyage est ma maison.
Muriel Rukeyser – One life

Si j’étais un nomade, je dirais que le monde est ma maison et que je suis un world citizen, tralalala ding dong. Cependant, vu que je ne suis PAS un nomade (et que j’écris cet article depuis un Mac OS X 10.5.2 aussi massif que costaud) et que je tends à me sédentariser, je pense que le Voyage est plus une porte qu’une maison, une porte amenant vers l’extérieur (le monde, les vacances, l’aventure…). En plus, ma seule vraie maison quand je voyage, c’est mon sac-à-dos. Du coup, j’y crois pas des masses.

Femme qui voyage laisse voyager son cœur.
Rivarol

J’avoue que celui-ci me laisse dubitatif. On dit que « loin des yeux, loin du cœur » mais, en même temps, que « l’amour n’a pas de frontières ». Pourquoi donc la femme, voyageuse solitaire, devrait être la seule à « laisser voyager son cœur » ? Et au fait, ça voyage comment un cœur ? En sentiments ? En amour ? En haine ? Quand il ne voyage pas, il est enfermé, bloqué, prisonnier ? Bref tout ça pour dire: j’ai pas compris.

On ne voyage pas pour voyager mais pour avoir voyagé.
Alphonse Karr

Si j’étais d’un cynisme absolu, je dirais que cette phrase pourrait être le slogan de tous les blogueurs voyages de la Terre, avides de pouvoir remplir leur site avec du contenu à la fresh et propre à faire rêver des dizaines de milliers de lecteurs. Cependant, en étant plus sérieux, je ne suis pas d’accord du tout. Je voyage pour voyager, dans le présent. Certes, je savoure le moment des souvenirs et des plongées en iceux mais, vraiment, ce n’est pas la perspective des longues soirées de racontards qui me pousse à bourlinguer. Bilan: moit-moit’

Le voyage est un retour vers l’essentiel.
Proverbe tibétain

Je crois que la philosophie tibétaine est l’un des maux majeurs de notre société européenne, tellement elle est galvaudée, mal interprétée et servie à toutes les sauces. Quand je lis ce proverbe bien précis sur le site d’un gros, gros TO, spécialisé dans les clubs-vacances TTC, je me dis qu’il y a une méchante anguille dans le pâtée et qu’elle pédale dur dans sa semoule. Alors oui, quelque part, si l’on s’y prend correctement, le voyage peut être un retour vers l’essentiel, à la condition sinéquanone de définir précisément cet essentiel.Bullshit dans bien des cas.

Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage.
Joachim du Bellay – Les regrets

Celle-là, c’est presque ma préférée. En effet, en réfléchissant, QUI peut être heureux après avoir vu ses compagnons se faire bouffer par un Cyclope, après s’être perdu en mer, après avoir été chassé sur tous les océans du Globe pendant 20 ans par Poséidon lui-même, après être descendu aux Enfers ? Surement pas Ulysse. Je crois, en fait, que Joachim du Bellay se fout royalement du monde, en beauté et en force. Alors, forcément, aucune chance.

Le plus beau voyage est de se prouver sa liberté.
A.Nonyme

Prouver sa liberté tend à dire que nous ne sommes pas libres. Autrement dit: que nous sommes prisonniers d’un quelconque truc, d’un quelconque machin et que le voyage est, du coup, la seule façon viable de s’échapper, au sens premier du terme. Sans rentrer forcement dans une analyse approfondie, je suis d’accord avec ça. Je n’ai jamais été aussi libre que pendant mon WHV en Nouvelle Zélande (et j’en avais pleine conscience). Le poids de la pression sociale disparait, les ennuis s’évanouissent et le monde devient plus rose, plus bleu, plus beau. J’acquiesce à 101%

Un voyage de mille lieues a commencé par un pas.
Proverbe chinois

C’est une vérité tellement essentielle qu’une seule réponse est possible, en faisant fi de toute démonstration linguistique ou rhétorique: vrai, vrai et encore vrai !

Plus on voyage au loin, moins on se connaît.
Lao Tseu

Plus on voyage proche, mieux on se connait ? Je crois, sans ironie, que cette pensée touche une part de vérité absolue: celle qui fait que l’on se découvre des ressources insoupçonnées lorsqu’on est plongé dans une situation imprévue, pas programmée, inattendue. J’ai découvert, au fur et à mesure de mes voyages, que je pouvais être bucheron, écouilleur d’agneaux, jardinier, dresseur de chèvres ou encore prof’ de tennis. Sans le voyage, je n’aurais jamais fait ça. Véridique et validé.