Pour une fois, nous allons sortir des éternels sentiers battus et rebattus du Voyage. Nulle question donc en ce jour de destinations lointaines, de plats gastronomiques douteux voire même de conseils éculés quant à la meilleure façon de devenir millionnaire en étant un Nomade Digital. Je souhaite vous parler de la fonction virtuelle que j’exerce depuis maintenant près de trois ans, celle-là même qui hante mes jours et mes nuits, fait de moi un tyran adulé aux pouvoirs terrifiants, un être à part sans contraintes horaires: Modérateur sur un site internet !
Être modérateur
Commençons par le commencement, avec une définition du meilleur aloi:
Un modérateur, c’est quelqu’un qui modère des personnes et le contenu fourni par lesdites personnes et ce à l’aide d’outils spécialement conçus pour l’aider dans sa tâche.
Comment le devenir ?
Pour ma part, j’étais assez actif sur le forum que je fréquentais depuis belle lurette et, presque logiquement, le Staff en place m’a proposé de le rejoindre. Je suis donc passé de l’autre côté de la Barrière, dans un autre espace-temps, dans un autre Univers.
Ce mode de sélection/promotion est assez classique: lorsqu’un membre se démarque, de par la qualité de ses interventions et leur pertinence, de par son objectivité et sa retenue, de par son orthographe, la qualité de son écriture (et plein d’autres facteurs en fait), il est logique de lui proposer une promotion. Le reste n’est plus alors que de son ressort, à savoir s’il souhaite passer à autre chose et à assumer un nouveau statut.
Il existe également de nombreuses sociétés qui proposent des services professionnels (comprenez: rémunérés). Je n’ai aucune idée de comment cela se passe, aucune d’elle n’ayant donné suite à mes envois de Cévés et autres Hellaimes. Je suppose cependant qu’elles disposent de leur propre infrastructure et qu’elles fournissent une formation en interne à icelle.
Un nouveau rôle, de nouvelles fonctions
Lorsque je suis passé de VIP à Modo, une première chose m’a frappé: je n’étais plus dans le commun des users: j’avais été tiré vers le haut, choisi, sélectionné, accueilli et doté d’un arsenal de nouveaux outils assez impressionnant.
Comme je l’ai dit plus haut, un modérateur est fait pour modérer. C’est donc ainsi que j’ai découvert le travail titanesque réalisé dans l’ombre chaque jour que Dieu (aka l’Admin) fait et dont 99% des gens pensent qu’il se fait tout seul, par génération spontanée.
Déplacer les messages, effacer les HS, fusionner des discussions, accueillir les gens, écrire des dossiers, intervenir dans les débats, réorganiser les contenus, tout en communiquant en parallèle avec les collègues: c’est un travail sans fin, presque routinier et qui donne envie par moment de s’arracher les cheveux tellement il peut paraitre ingrat.
On en arrive, des fois, à regretter d’avoir choisi la pilule bleue et d’avoir plongé avec Alice dans le tunnel et on souhaiterait presque pouvoir charger un ancien back-up, effacer les nouvelles données et regagner ainsi la douce et sereine ignorance de l’utilisateur Lambda.
Assumer ses responsabilités
Qui dit grands pouvoirs dit grandes responsabilités.
Spiderman
Un site internet, c’est comme un univers en miniature, régi par ses propres lois, dirigé par ses propres tyrans admins, marqué par une hiérarchie forte et abondamment signalée.
A partir du moment où il entre en fonction, le nouveau modérateur va se positionner vis à vis du reste des personnes. Il a le Pouvoir, quasi discrétionnaire, de supprimer, bannir, sanctionner: c’est un constat aussi bête qu’évident, sponsorisé par Captain Obvious : quand on a des pouvoirs, il faut les assumer.
Effacer un message n’est pas un acte anodin: on supprime quelque chose écrit par quelqu’un d’autre parce que ce quelque chose ne rentre pas dans le cadre défini (par la charte, les règles… etc etc). Pour autant que notre action soit légitime, comment sait-on comment elle va être perçue et comprise ?
Or, entre usage normal de ces outils et abus purement personnel, la marge est mince, très mince, voire même infime et elle peut énormément prêter à confusion. Lequel d’entre nous ne s’est donc jamais attiré les foudres d’un membre l’accusant de « favoritisme », de « censeur stalinien », de « droit à la parole et au débat » ?
Le côté personnel, l’implication et la dimension que peut prendre un site internet communautaire dans la vie de quelqu’un est assez impressionnant, voire même dérangeant. On vit par et pour le site, on s’y expose, on y écrit et on s’y bâtit une vie purement virtuelle.
Aussi, chacune des interactions est prise très au sérieux, intimement et peut déboucher sur des scénarios qui seraient grotesques s’ils n’en étaient pas menaçants et dangereux. De ces réflexions nait parfois la Peur, celle qui fait se bloquer les pensées, qui fait réfléchir à outrance et s’interroger sur le bien-fondé de ses actions: c’est un signe fort.
Il est donc important de toujours garder cela à l’esprit lorsqu’on modère et faire attention, très attention, à ne pas tomber du côté obscur de la Force, qui fait du modérateur parfait un Lucky Luke de la Sanction, un Dark Vador du Bannissement, un KevinNoob du deletage, un Shériff du Pauvre.
Le recul nécessaire
Bien qu’en insistant que le contenu du passage précédent, je pense paradoxalement qu’il ne faut pas se focaliser ni accorder trop d’importance à ses actions.
Se mettre un peu en arrière, ne pas faire corps et âme, communiquer au maximum et, surtout, ne rien prendre (trop) personnellement: ce sont les tactiques de survie élémentaires pour pouvoir agir avec une relative objectivité.
La tête peut vite monter, les sanctions peuvent vite monter et le débat s’envenimer dans des proportions incroyables, atteignant le point Godwin à une vitesse folle: ainsi va la vie sur un site internet et dans la tête des gens, persuadés d’avoir raison, de détenir la Vérité, d’être celui qu’il faut pour tout remettre en place.
Pour ne pas tomber dans le piège d’un site gangréné par des guerres de clan, des rivalités malsains, des « ont dit » pullulants, il ne faut pas hésiter à laisser tomber, à passer la main et à laisser d’autres collègues gérer le bordel et ce suffisamment tôt.
Pour toujours ou à jamais ?
La lassitude, l’envie de passer à autre chose, le désaccord au sein d’un staff… sont autant de raisons qui font qu’une carrière s’arrête aussi soudainement qu’elle a commencé.
Pour autant que j’aie dressé un tableau assez noir de la fonction et que je ne prenne plus forcement autant de plaisir aujourd’hui à faire ce que je fais, il est hors de question pour moi de quitter le navire.
En effet, je trouve encore largement mon compte avec le sentiment de participer à la construction d’un beau truc, les remerciements des gens, le sentiment du travail bien fait et les perspectives futures de développement. De plus, je me forge une expérience solide, je me crée un réseau professionnel international et m’offre, dans une certaine mesure, une petite visibilité.
Que dire donc pour parler du Futur ?
Que la Modération, c’est l’école de l’Internet !