Le soleil sur les feuilles

C’est toujours la même histoire, à chaque sortie, à chaque voyage.

Après avoir erré pendant quelques heures, je cherche mon oasis : un jardin, un parc, une pelouse où se trouvent plantés quelques arbres. Idéalement, il se trouve également un banc dans cette oasis, placé sous les branches desdits arbres. Et, dans le Meilleur des Mondes possibles, je n’ai donc plus qu’à m’asseoir, me visser un sourire aux lèvres, pousser un profond soupir de soulagement et basculer la tête vers l’arrière, les yeux mi-clos, pour regarder le spectacle du soleil sur les feuilles.

Je ne sais pas pourquoi mais j’ai toujours été fasciné par cela : un rayon de soleil qui tombe sur les feuilles, au bout d’une branche. Je trouve cela simplement beau, simple et majestueux. En plus, selon la saison, ce n’est jamais la même chose. Au cœur de l’automne, je semble y voir une dernière caresse, un ultime adieu avant la Grande Chute. En plein été – ou dans les moments qui précèdent l’été, c’est la cohabitions du vert et de l’éclatant. Chaque feuille caressée sensuellement par un seul rai est un macro-univers aux mille et une couleurs changeantes, offrant mille et une raisons de méditer. Je trouve tout cela relaxant, détendant, y voyant comme une invitation à se prélasser et à laisser l’esprit vagabonder au gré des bruissements et des changements de couleurs.

Le spectacle m’apparaît encore plus beau lorsque le vent, la bise, ou la bourrasque viennent s’inviter sans prévenir. Le doux bruissement des feuilles secouées, les lignes invisibles tracées dans le vide et révélées par des poussières égarées, une étoile calée dans l’objectif, éblouissante, aveuglante. Il semble par moments que le ciel tisse de folles toiles dorées d’où des fils pendent et viennent glisser jusqu’à nous, l’espace d’un clignement de cil, d’un battement de cœur. Une fois la visite d’Éole achevée, le silence s’en revient pour être en réalité mieux être chassé. Les branches protestent alors dans d’étranges couinements. Enfin, l’immobilité finit par redevenir dogme et je peux reprendre ma contemplation silencieuse, entrecoupée par de belles surprises.

Parfois, je pousse ma luxure encore plus loin. Je dédaigne le banc pour aller m’allonger dans l’herbe, sous les arbres, avec les branches laissant filtrer quelques chauds rayons de soleil, qui arrivent à passer le tamis de ce fouillis naturel. Je ferme alors les yeux, doucement, très doucement. Mes mains caressent le sol fertile sur lequel je suis étendu, jouant au gré des découvertes tactiles. Un morceau de bois rugueux que je fais rouler. Un bout de mousse qui me chatouille les phalanges. En me privant d’un sens, je ne fais en fait qu’exacerber les autres. En me privant de la vision, j’ouvre des portes. Je tente de trouver là un apaisement, un repos. Plus rien ne parait pressé, obligatoire, décisif. Tout semble devenir relatif, lent, aléatoire. Choisir de subir – dans une certaine mesure – et jouer le jeu du roseau qui ploie, ploie et ploie encore sans pour autant céder, se tournant au gré des vents.

Des hauteurs de Whitehorse jusqu’aux jardins de Nouvelle-Zélande en passant par les parcs de Reims, Dijon ou Toulouse, j’ai toujours su trouver ce chemin : celui dont je suis le seul à connaître l’itinéraire, qui est vertical, intime et inconnu et qui n’existe, en tout et pour tout, que le temps d’un arrêt. Voyager en étant immobile, voyager sans se déplacer, voyager en contemplant, en s’interrogeant : n’est-ce pas en fait la finalité de toute chose, le but inavoué de nos tentatives ?

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