Cher toi,
Comment vas-tu depuis la dernière fois ? J’espère que tout se passe bien et que tes vacances se déroulent sans aucun souci, avec le soleil et la farniente comme compagnons de route.
Je ne sais pas si je te l’ai dit avant de partir mais, depuis quelques jours, nous sommes de retour à Urrugne, au Pays Basque et en famille. Connais-tu Urrugne ? C’est un petit bourg de 10 000 habitants organisé autour d’une église, avec son bureau de tabac, son fronton (de pelote basque), ses sentiers de randonnée et sa fête du Thon. On ne fait qu’y passer, en réalité, puisque nous logeons chez l’arrière-grand-mère de nos enfants, en sa délicieuse demeure, sise, littéralement, au pied de la Rhune, la montagne mythique des Basques. Si désormais, c’est un lieu touristique de premier ordre, avec son petit train et son antenne de télévision, il n’en a pas toujours été ainsi (mais je te raconterai tout ça dans la prochaine lettre, ce serait trop long de tout te raconter).
Ici, la vie suit un cours léger, irrégulier, avec des creux et des pics dictés par la météo et l’activité enfantine. Au pays des horizons changeants, chaque jour est différent. Si le soleil daigne pointer le bout de ses rayons, nous devenons lézards et lamantins, fuyant la chaleur et cherchant refuge dans l’ombre et l’immobilité. Si la chaleur se fait moindre, nous en profitons pour aller explorer le pays alentour. Savais-tu, par exemple, qu’une espèce de savant fou, de mère irlandaise et de père basque avait construit un château-observatoire à la décoration assez délirante, où se mêlent serpents napoléoniens, messages de bienvenue en gaélique et activité astronomique. Il y a même un sentier de randonnée qui s’en va saluer les Jumeaux de la plage des Sorcières d’Hendaye (qui seront bientôt triplés vu que l’un d’eux est en train de se fendre, dixit Nicole, l’arrière-grand-mère qui me fournit toutes les indications historiques). D’ailleurs, la plage tire son nom de Torquemada et de l’Inquisition, ce qui est une toute autre histoire. Bref, nous sommes allés visiter le château d’Abbadia (et c’était assez chouette).
Nos journées, aussi paradoxal cela soit-il, ne commencent jamais avant le milieu de l’après-midi, aux alentours de quinze heures, quand l’apéro du midi se termine et avant que celui du soir n’arrive. Pendant cette parenthèse, nous n’allons jamais plus loin qu’à une poignée de kilomètres, quinze ou vingt grand maximum. Ainsi, le premier jour, c’est au Bourg que nous sommes allés. Celui d’Urrugne. Là, nous avons effectué le pèlerinage officiel de toute famille en villégiature : l’office de tourisme local (avec sa géniale exposition sur Jacque Henri Lartigue, dont le talent photographique me fait dire que nous n’avions rien inventé du tout, bien au contraire. Ce qu’il arrivait à faire à l’aube des Temps Photographiques est simplement extraordinaire). S’en est suivi une longue chasse au trésor jusqu’à la discrète et montagnarde chapelle de Notre-Dame-De-Socorri (ce qui veut dire Secours, en basque), un lieu de pèlerinage qui tire son origine du XVIIème siècle (de 1627) et d’une bande de pêcheurs ayant réussi à fuir les navires anglais en face de l’île de Ré grâce à une intervention divine (comprendre : le vent a soufflé et permis auxdits pêcheurs de fuir les anglais). Si jamais tu viens un jour en ces lieux, je pense que tu seras étonné par le cimetière qui se trouve de part et d’autre de la chapelle : les stèles discoïdales (en forme de trou de serrure, ce qui est le plus proche de la vérité et qui me parait plus simple pour les décrire) des tombes où reposent les victimes des épidémies de peste (en 1608) et de choléra (en 1855). A ce propos, si cela t’intéresse cherche donc comment était le Pays Basque était au XIXème siècle : sans être féodal, on en était quand même pas si loin (toujours dixit Nicole).
D’autres jours, c’est vers la nature et les montagnes des Pyrénées que se portent nos regards et s’envolent nos envies. En toute honnêteté, j’ai abandonné depuis longtemps mes fantasmes d’ascension de la Rhune : elle continue, jour après jour, à me narguer, à m’appeler, à m’aguicher. Je contemple cette aiguille dressée dans le ciel basque, cette pique où s’accrochent, s’entremêlent et s’effilochent les nuages au gré des vents et des caprices d’Éole. Véritable vœu pieux, sorte de ritournelle chantonnée à chaque arrivée et devenue regret le séjour une fois le séjour achevée, la montée de la Rhune est mon sacerdoce, mon ossuaire, mon objectif toujours caressé mais jamais accompli.
Heureusement, et comme tu dois t’en douter, Larrun n’est pas le seul échappatoire possible pour nous autre. Ainsi, et pas plus tard qu’hier, c’est en Espagne que nous nous sommes retrouvés, le temps d’une randonné et d’un passage frontalier signalé uniquement par une vieille borne moussue ignorée de tous. Au bout de ce chemin, longeant une rivière et protégés de l’ardent soleil basque par une généreuse frondaison, nous visions les ventas, ces magasins détaxés espagnols venus d’un autre temps, où s’achètent toujours, comme depuis l’avant-guerre, blousons, cigarettes et autres marchandises à moindre coût (et où le voyageur fatigué peut dépenser son argent et se restaurer, si le cœur lui en dit). Si lesdites ventas étaient fermées, la promenade n’en fut pas moins délicieusement bucolique, un peu aventurière et formidablement rafraîchissante. Un vrai bol d’air frais au creux d’un été parfois assommant.
Pourtant, ce Pays Basque, mon Pays Basque (si j’ose dire et employer ce possessif sur lequel je n’ai que peu de droit), ce n’est pas que cela. C’est une aussi une belle et douce promesse, découverte lors de notre premier séjour familial ici et sans cesse renouvelée depuis : celle de longues soirées à rire et trinquer, des rires de nos enfants, des anecdotes, des nuits étoilées à identifier les constellations, des salutations aux escargots et des révérences aux hirondelles, des heures passées à essayer de photographier les milans, vautours et autres rapaces qui tournent et tournent encore, à en perdre la tête, dans un ballet circulaire qui semble infini.
C’est le retour du lomo, du gâteau basque acheté la sacro-sainte adresse, de ces fromages qui flattent les papilles et font se dresser les narines, de ces bières qui n’existent qu’ici, des cocktails on the rocks et du tintement aigu des verres qui s’entrechoquent le soir, au bord de l’eau. C’est Arnaga, Hendaye, Saint-Jean-de-Luz et Biarritz. C’est ceci, cela et ça.
C’est le goût délicieux des vacances. D’une parenthèse enchantée. De minutes qui se savourent et que l’on veut retenir, saisir, attraper à pleines mains, que l’on sait délicieuses et estivales, irradiantes et éphémères et dont la beauté réside dans l’intensité. Je voudrais tellement pouvoir prolonger, encore et encore, ce temps délicieux, ces quelques journées mais, vois-tu, c‘est leur rareté qui fait leur beauté, leur goût unique. Et c’est la promesse d’en vivre d’autres qui rend encore plus belle celle d’aujourd’hui. Le cadran solaire local ne le dit-il pas : « Celles-ci blessent, la dernière tue » ?Alors, profitons !
C’est avec mon fils sur mes genoux que je boucle ces lignes et cette lettre.
A bientôt de te lire,
Cédric (et Nicole)