Se donner une thématique, se noyer dans la liberté, fuir les cadres… Le voyage est une source de discussion aussi infinie qu’éternelle, ce qui ne manque jamais de me rendre songeur, heureux, philosophe, pensif voire même railleur et moqueur. Pour l’article de ce jour, je vous propose l’analyse d’un de ces sujets, aperçu tantôt sur les réseaux (a)sociaux !
Liberté, thématique et Cadre
La génèse
Hier, pendant que je parcourais tranquillement le net à la recherche d’articles, de liens ou de trucs intéressants à tweeter/facebooker/googleplusiser (faire de la veille qu’il parait que cela s’appelle), je suis tombé sur un message qui m’a paru étrange, destiné à un futur voyageur effrayé par la perspective de tout quitter:
« Fixe-toi un objectif, une thématique, un but de découvert, de découverte de soi. Sinon tu risques de te perdre dans la LIBERTÉ. »
J’ai trouvé cette phrase suffisamment intéressante pour la faire partager sur mon Twitter et, ô surprise, j’ai eu quelques intéressantes réactions, notamment de la part de Wasabi dans le Kiwi et d’une autre personne (sans site net, hélas) dénommée Wikinade.
Les échanges, nombreux, ont donné lieu à quelques pertinentes pistes que je vais résumer ici avec d’abord trois interventions de DWDLK:
Je ne connais pas le fond de sa pensée, mais je trouve le conseil plutôt judicieux. Trop de flou tue le flou.
Je trouve ça plutôt pas mal comme conseil à quelqu’un qui voudrait y aller mais qui n’ose pas. Un minimum de cadre ça rassure.
En tout cas c’est se mettre le doigt dans l’œil que de croire qu’un voyage libère des contingences matérielles
Puis deux autres, tirées de celles de Wikinade:
Les cadres, ce n’est pas justement ce qu’on refuse quand on part ?
On peut refuser les cadres en restant immobile.
Ensuite, le débat est parti sur des sujets un peu plus pointus (se faire empapaouter par une autruche, par exemple) et j’ai vaguement arrêté de le suivre. Cependant, ces quelques tweets tombent à point pour mener une petite réflexion.
Se perdre dans la liberté
Je ne sais pas, de vous à moi, s’il est réellement possible de se perdre dans la liberté. Je peux concevoir que la perspective de ne rien avoir de programmé, de prévu, soit un tantinet effrayante au premier abord. Je peux également prendre en compte le fait que, sortant d’une société où tout doit rentrer – plus ou moins – dans certaines cases, dans un certain ordre, cela fasse peur d’être confronté à… plus rien. Cependant, je n’arrive pas à saisir ce concept « se perdre dans la liberté ».
Si j’analyse le truc, je le trouve quand même vachement paradoxal. On peut se perdre dans des choix (quantifiables), dans des décisions à prendre (idem), dans un labyrinthe (ensemble clos avec une entrée et une sortie) mais dans la liberté… Étant d’essence même quasi illimitée, très peu bornée (au sens géographique du terme) voire même infinie (philosophiquement parlant), je la vois plus comme un territoire absolument vierge, inexplorable dans son intégralité mais ô combien attirante, pas du tout effrayante…
Je me rappelle de mon WHV en Nouvelle Zélande, sur lequel j’ai écrit ceci, au détour d’une journée de stop et de bonheur:
Comme un symbole, c’est également aujourd’hui que Terri, mon Hôte, a décidé de relâcher les colombes. J’y ai vu comme une certaine image de moi-même: après quelques temps de captivité consentie, ces blancs volatiles se sont envolés vers des cieux pas forcement de meilleurs hospices mais présentant l’avantage certain de la liberté. (…) Cela étant et en dépit de tous mes sentiments d’attache à Kaiteriteri, la bouffée d’air que j’ai inspiré une fois seul sur l’autoroute est l’une de celle que l’on ne peut oublier: elle contenait absolument tout: l’incertitude, l’appel du large, la folie douce et tous ces sentiments qui réapparaissent cycliquement, à chaque nouveau départ. (…) J’ai touché du doigt cet après-midi une sensation pas forcément très éloignée du zen/nirvana, comme lorsque le monde entier ne semble vouloir que votre bonheur, que les sourires des jolies demoiselles vous sont destinés, que les voitures vous laisse la priorité sur un One lane bridge, que les moutons bêlent de joie à votre vue,que les vaches accourent vers vous avec de sonores beuglement »
L’éternité et un muffin (s’il vous plait)
Pour moi, cela est clair: on se noie dans la liberté, on y patauge mais on ne peut s’y perdre – au sens négatif du terme.
Fixe-toi un objectif
Si il est quelque chose que je haïs dans ce bas monde, c’est la nécessité superfétatoire et obligatoire de se poser des objectifs dans n’importe quel cadre, n’importe quelle occasion. Si cela va de soi avec des sportifs (comme nos archers ci-dessus), des commerciaux ou des ministres, pourquoi cela devrait-il exister obligatoirement avec des voyageurs ?
Quand je bosse dans l’animation, quand je dirige des séjours, j’ai une tendance farouche à m’enfuir si, au moment de l’entretien, le recruteur me cause de « choses à voir absolument, de visites à programmer à tout prix, de monuments et d’activités promises et incluses dans le package ». Pour moi, l‘objectif fixé et à tenir absolument est l’ennemi, l’antithèse, l’aberration du voyage dans toute sa splendeur.
Quand je suis sur les routes, je tiens à garder le choix dans ce que je fais. Je ne veux pas être l’esclave d’un Trukavoir, la pute d’un Trukafère, le soumis d’un Trukatoupri. Je m’en fous royalement de faire 200 kilomètres de détour pour aller observer une autruche ou des peintures aborigènes si c’est moi qui l’ai décidé. De plus, je n’aime pas spécialement les guides (à quelques exceptions notables) surtout lorsque se trouvent de nos jours de nombreux sites bien foutus.
Bref: se fixer des objectifs funs, drôles, pas importants: OUI.
Vivre son voyage par et pour des objectifs: NON
Un voyage libère des contingences matérielle
Je crois qu’il est virtuellement impossible de voyager sans contraintes ou contingences matérielles, à moins d’être en mode babacool, routard à la roots, de n’emporter que le strict minimum absolu (et encore…) ou ne prendre avec soi qu’amour et eau fraiche.
Je me rappelle avec lu, un peu sur la thématique, le souci d’une ferme en Australie, qui essayait de vivre en autosuffisance totale, en produisant absolument TOUT de façon locale, sans aucun apport ni aide extérieure, utilisant les ressources locales au maximum de leurs possibilités, de façon raisonnée et raisonnable. Le cercle, pour aussi vicieux qu’il soit, ne fut jamais totalement fermé: les papiers journaux ne faisaient pas d’assez bon papier toilette, le barbelé était quasiment inconstructible et toutes les différentes sources d’énergie (solaire, aquatique, éolienne) ne parvenaient que difficilement à combler les besoins de la vingtaine de courageux qui habitaient cette utopie campagnarde.
Je crois, en mon petit for intérieur, qu’il faut savoir accepter que la liberté matérielle totale et absolue n’existe presque pas lorsqu’on part en voyage. D’une façon ou d’une autre, on se retrouve toujours confrontée à celle-ci. Cependant, je crois d’autre part qu’il est possible de ne pas la subir, d’en prendre son parti et d’interagir au mieux avec elle, de manière concertée et réfléchie (si tant est que cela soit faisable…).
Le bilan
Comme d’habitude, aucune réponse n’est universelle, définitive et ne peut donner lieu à la création d’un Ibook. Pour autant, je sais que chaque voyageur possède SA vérité, SA façon de voyager et de percevoir le monde. A ce sujet, je suis diablement curieux: quelle est la votre et quel conseil auriez-vous donné à ce jeune voyageur effrayé ?
Le mien, je le connais déjà: n’écoute que toi et largue les amarres !