Ça fait trente ans que ça dure et ce n’est pas près de s’arrêter, comme une vieille histoire d’amour, de tromperies et de coucheries maintes et maintes fois répétées. J’y suis allé enfant, émerveillé. Adolescent, lassé. Adulte, enchanté. Chaque fois est différente, par moments ennuyeuse, par d’autres fantastiques. Je pense connaitre chaque recoin de la vieille ville, chaque grain de sable de la plage et chaque brin d’herbe de la pelouse. Je connais les remous du lac et le nom des pics environnants. J’ai arpenté bien des pavés, gravies bien de côtes et poussées bien des portes… Pourtant le charme agit, encore et encore: Annecy, le repos de mon âme !
Arriver à Annecy, c’est déjà être frappé par quelque chose de magique, de grandiose, de majestueux: la beauté des lieux. Entre le lac limpide où se reflètent les montagnes, les petites rues pavées menant au château, les arrières-cours cachées et les jardins follement pastoraux, je ne sais jamais où donner (totalement) de la tête. La ville est juste belle, chanceuse d’être ainsi située aux confluents de la Magie et de l’Histoire, témoin précieux d’un patrimoine exceptionnel à bien des titres: gastronomie (le fromage, la raclette), naturel (les monts du coin, les Alpes), littéraire (Rousseau…) et historique.
Mes promenades n’ont jamais de but avoué. Elles sont un hommage discret à la flânerie, à l’errance, à la simple déambulation touristique primale, d’un lieu vers un autre. Je m’arrête parfois de longues minutes, accoudé à un parapet et je laisse mon esprit se perdre dans les limbes, les yeux fixés sur un panorama sans nul autre pareil. Le moment est figé, la vie s’arrête, je suis heureux.
Forcement, je finis toujours par arriver du côté du Lac, le fleuron local. En été, c’est le lieu de réunion principal de la jeunesse locale, toujours avide de profiter des soirées du coin. Entre un feu d’artifice et un festival de cinéma, entre deux saisons, c’est également mon endroit de repos favori. Je longe, l’une après l’autre, les rives, contemple les oiseaux avides et les familles épanouies. Je me prélasse sur l’herbe, je regarde les nuages et je me rappelle les longues journées passées à grimper le Parmelan et la Tournette.
Parfois, je m’oblige à passer par des endroits bien précis, auxquels est attachée une forte valeur émotionnelle: un émoi amoureux, un souvenir familial, une brusque montée de tension. Si Proust avait sa Madeleine pour se remémorer ses souvenirs, je me contente plus modestement d’un pont des Amours.
Une dernière petite poussée d’énergie m’amène de temps à autres sur le bord, d’où je regarde les piafs tenter de grappiller quelques miettes de nourriture, délicate obole d’un enfant généreux. Souvent, le résultat est vain. Parfois, il est (photographiquement) sympathique.
Quand la journée touche à sa fin, que le soleil ne darde plus (tellement) ses rayons dorés sur ma peau (pas du tout) tannée, je comprends qu’il est alors temps de rebrousser chemin et de revenir sur mes pas. Pourtant, un dernier petit rituel m’attend, aussi immuable que savoureux, aussi vieux que la Haute Savoie elle-même, aussi délicieux qu’une fondue: un passage au Glacier des Alpes.
Le choix est dur, ardu, compliqué mais si prometteur que je reviens toujours aux mêmes parfums…
En léchant, suçant et croquant avidement mon sensuel cornet, je retrace ma route, à rebours, vers mon lieu de villégiature. Je retraverse les petites rues piétonnes, rebave devant les mêmes boutiques et m’émerveille, une fois de plus, du caractère fou de cette ville savoyarde.
La promenade touche à sa fin, je jette un dernier regard en arrière, suivant le fil de l’eau…
La journée est finie, je suis rentré et je n’attends plus qu’une seule chose: revivre, encore une fois et comme toujours, de si doux moments !