Par la vitre de mon train…

Par la vitre de mon train, par la fenêtre de mon wagon, j’ai vu défiler le paysage. S’en aller les quais et arriver les montagnes. J’ai vu des mains s’agiter, s’élever. Des bras se replier, des couples s’étreindre, des familles se réunir, des doigts s’agiter. Des gens courir, tomber, chuter, se relever. Des bagages être empilés, perdus, retrouvés.

La vitre de mon wagon, dans mon train, est telle une télévision bloquée sur une seule chaine. On ne choisit pas ce qui défile mais on décide de regarder. D’admirer. D’observer. Le coude posé sur le rebord, la tête appuyée sur un poing fermé, les yeux s’accrochent au particulier dans un général qui défile trop vite. On attrape au vol un détail, une maison, une vache, un troupeau. On note un clocher dans un village, une gare décorée façon street-art, des randonneurs à vélo dans l’attente d’une barrière levée.

La vitre de mon wagon n’est pas une promesse, elle est une certitude. Celle de la surprise, de l’inattendu. Du merveilleux au banal. Du magnifique au moche. Elle est un voyage dans le voyage.

Pendant ces voyages en train, l’immobilité permet la contemplation active. L’interrogation pas toujours muette et les questions rituelles. De savoir où on est, dans combien de temps on arrive. Et puis, on confronte les souvenirs. On cherche, on recherche, on fouine. L’été 87, le printemps 78. Les années 2000. Le temps d’un week-end, d’une nuit, d’une vie : suis-je déjà venu ici ? Pour qui, pour quoi, quand ça ? Suis-je descendu, monté, revenu ? Serait-ce ici que j’ai pleuré, ri, embrassé, dit adieu, au revoir et à bientôt ? Sur ce quai, dans cette gare ? Il se peut que je confonde, que je m’embrouille, m’emmêle les pinceaux.

Le tacatac de la motrice qui redémarre doucement au coup de sifflet fait regarder dans le train, par la vitre, les vitres. Jeux de reflets, d’observation parfois discrète, parfois délibérément expressive. Chercher un regard, un geste, une ombre. Laisser les yeux se perdre dans un univers où se superposent les images, les paysages, les couches. Des sièges sur des champs, des ombres furtives, inversées, pales et feutrées. Tout apparait et disparaît dans un cycle sans début ni fin. Une séance de cinéma muet où le scénario s’écrit en temps réel.

Des fois, il n’y a rien à voir, par la vitre de mon wagon. Le train traverse des villes anonymes, grises et sans âmes. Où alors, trop tôt le matin, dans une noirceur qui ne laisse deviner qu’ombres affairées et pénombre des éclairages blafards sur un quai, un jour d’hiver. On ferme alors autant les yeux que l’esprit, pour ne pas se laisser aspirer, à défaut d’être inspiré. En attendant d’espérer, de croire au soleil cassant la brume, faisant fuir la nuit. Des fois, il y a tout à voir, par la vitre de mon wagon. Un show grandeur nature et le nez collé à la fenêtre, pour ne pas manquer une miette, pour tout mémoriser, retenir. On se retrouve même à sortir l’appareil, dans le but de prendre un cliché, ce cliché, cette photo. Pour attraper ce vol de piafs, cette montagne en ombre chinoise, cette vue unique, ce coucher de soleil qui embrase les cieux.

Par la vitre de mon wagon de mon train, je ne cesse jamais de profiter, d’imaginer, de rêver. De me créer mille et une vies, mille existences différentes, d’écrire des histoires qui commencent par Et si et qui ne finissent jamais.

En France ou dans le monde, j’ai vu bien des choses par la vitre de mon wagon. Dans des trains urbains, locaux, nationaux. J’ai vu les montagnes devenir blanches après une nuit dans un compartiment. J’ai découvert la beauté incroyable du Sud en descendant pour la première fois dans les Cévennes et j’ai passé deux heures à ne faire qu’admirer. Nous avons vu se dessiner Raguse la belle dans un train sicilien. Et Sligo dans un train irlandais. Passé de drôle de frontières. Et même vu des rails être changés, quelque part en Finlande et Russie, entre Helsinki et Saint Pétersbourg. J’ai même vu des rails serpenter parallèlement vers l’infini, un jour dans une cabine de TER. Et une locomotive cracher de la neige, là-haut, en Suisse. Voire même de la fumée, que ce soit en Wallonie ou dans la Somme.

Et puis parfois, nous regardons. A deux ou à quatre. Nous regardons avec #DeT ou Titi et nous rions. Explications, jeux ferroviaires. Suggestion de préférer l’écran de la fenêtre plutôt que celui du téléphone. De deviner où nous sommes, de se souvenir où nous allons. L’émotion de le voir collé à regarder, à vivre son propre voyage, à se créer ses propres souvenirs de train-train.

Par la vitre de mon wagon de mon train, je ne cesse jamais de profiter, d’imaginer, de rêver. De me créer mille et une vies, mille existences différentes, d’écrire des histoires qui commencent par Et si et qui ne finissent jamais. J’observe ces gens qui vont et viennent, montent et descendent. J’observe, je note, j’annote et je me dis qu’un jour, il faudra que je raconte ces moments, ces paysages, ces instants.

De ce que j’ai vu, par la vitre de mon wagon !


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