les vitraux d'Alfred Manessier à l'église du Saint Sépulcre d'Abbeville

Vitraux, boulot, photos

En décembre de l’année dernière, dans le cadre d’un reportage pour Iceo Magazine, je me suis rendu dans ce qui est probablement la plus belle église de la Somme, si ce n’est des Hauts-de-France : celle du Saint Sépulcre à Abbeville. Sa beauté ne réside pas dans son architecture extérieure, qui est assez banale. Elle ne réside pas non plus dans une quelconque pièce intérieure, une chaire ou un orgue. Non, ce qui fait la beauté unique de l’église du Saint Sépulcre d’Abbeville, ce sont les vitraux d’Alfred Manessier. Alors, si vous ne connaissez ni l’église, ni Abbeville ni Alfred Manessier, venez avec moi : nous sommes un matin de décembre 2020, le vent souffle, les rues des alentours sont vides. Nous sommes devant la porte de l’église et nous entrons. Notre accompagnatrice met la clé dans la serrure, ouvre et rentre. Nous la suivons. L’ombre règne autant que le silence. Et pourtant…

Ecrire sans écrire, parler sans mots

Vitalité. Energie. Apaisement.

Si je ne devais retenir que trois mots pour décrire ma première impression après être entré dans l’église du Saint Sépulcre, ce seraient ces trois là. Vitalité parce que l’église semble vibrer, être vivante. Energie parce que la composition, dans son ensemble, parait rayonner. Apaisement parce que cette beauté invite à l’observation, au silence, à l’admiration, à l’introspection.

Ce triptyque d’émotions n’est pas dû au hasard mais est en réalité l’aboutissement d’une démarche volontaire, artistique, spirituelle et mentale : celle d’Alfred Manessier, qui livre ici le chef d’œuvre d’une carrière pourtant déjà riche. Cet homme, enfant de la Somme aux multiples talents, entretenait avec cette église un lien personnel particulier, lié à des souvenirs d’enfance douloureux et effrayants. Alors, quand l’occasion s’est présentée de travailler à sa rénovation, il ne pouvait pas dire non, surtout à ce moment de sa vie et dans ces circonstances. Comment ne pas d’ailleurs y voir une facétie, un signe du destin ?

Ce qu’il ne pouvait pas cependant savoir, c’est ce que ce chantier allait l’embarquer sur plus d’une dizaine d’années et que, au crépuscule de sa vie, il serait autant un aboutissement qu’un testament puisqu’il décède le 1er août 1993 (des suites d’un accident de voiture), juste quelques mois après l’inauguration officielle de la « nouvelle » église du Saint Sépulcre…

Savoir avant de pouvoir

Entre 1982, date des premiers cartons et 1993, moment où les vitraux sont posés, Alfred Manessier est passé par toutes les étapes : l’espoir, le dépit, l’enthousiasme, la rage. Tout a même failli finir dans la Somme, un jour où rien ne paraissait avancer, où rien n’allait dans le bon sens ! Pourtant, envers et contre tout, les plans ont été respectés et le montage a eu lieu. Manessier était présent partout où il le pouvait, intervenant par petites touches, des ateliers (Lorin de Chartres) des vitraux aux murs même de l’église, lors du montage. Ce qu’il faut savoir – et ce qui est proprement extraordinaire – c’est qu’il avait tout imaginé avant, dans les moindres détails. Il savait exactement ce qu’allait être l’église du Saint Sépulcre, ayant couché tous les détails dès que la restauration lui fut confiée. Visionnaire absolu, il avait dessiné les plans des vitraux en incorporant tout ce devait l’être, allant même jusqu’à prendre en compte l’ombre d’un arbre qu’il ne voulait voir abattu.

Maitre de l’écriture lumineuse, narrateur sans mots et compositeur de génie, il a su insuffler une dimension hors du commun aux différents panneaux qui composent les vitraux. Cet ensemble, qui peut se lire à différents niveaux, tout comme les vibrations qui en émanent semblent sans cesse se renouveler pour offrir un spectacle qui sera perçu différemment selon les différences et sensibilités de chacun : là où certains seront éblouis par la palette infinie des bleus, d’autres y verront une allégorie biblique.

Une église vivante

Encore plus étonnant est l’universalité du message ainsi délivré, qui va bien au-delà de la simple lecture religieuse. Car si, originellement, les trente et un vitraux « parlent » de la victoire de la vie sur la mort, de la Passion et la Résurrection, en réalité, ils vont bien au-delà de cela. En choisissant de ne pas faire dans le figuratif et de se placer à dessein sur un plan abstrait, Alfred Manessier fait ainsi fi des représentations habituelles et s’offre un terrain de jeu à la hauteur de son talent : inouï. Il donne libre cours à ses sensations, en cherchant à faire vibrer des cordes autant personnelles que partagées par tout un chacun. L’église, lieu religieux par excellence, devient dès lors salle de fêtes, de foi, de concert, où nulle note ne résonne mais où l’âme vibre au gré des pastilles colorées laissées par le rayonnement du soleil.

Car si l’Eglise du Saint Sépulcre est si vivante, si solaire, si puissante, c’est parce qu’elle s’éveille avec l’astre et que celui-ci compose chaque jour, pour elle seule, une composition différente. Alfred Manessier savait cela ! Il savait que chaque saison, les rayons traversant les vitraux offriraient quelque chose de jamais vu : la matérialisation littérale du verre sur la pierre, la consolidation de l’éphémère. Ainsi transcendés, les vitraux deviennent papetiers, livres de gommettes et parsèment l’église d‘une pluie de paillettes toutes plus colorées les unes que les autres. Voir avant d’avoir vu, être capable de (se) projeter, anticiper : Manessier savait, tout simplement. Il avait conçu ses vitraux de telle sorte que le résultat était connu d’avance. Perfectionniste absolu, il portait un soin particulier aux détails les plus infimes, traquant l’imperfection d’un morceau de verre pour mieux la sublimer, la faire sienne.

Au-delà des mots, en écrivant littéralement avec la lumière, les prismes, les saisons et la nature, Alfred Manessier a réussi à transmettre un message d’éternité, de vie, de joie. Il a réussi à distiller son talent, son amour et à rendre ainsi puissamment humaine cette petite église d’une petite ville de la Somme.

L’église du Saint-Sépulcre d’Abbeville en photos

Manessier et Abbeville : pour aller plus loin

L’église du Saint-Sépulcre n’étant pas ouverte en permanence, le plus simple pour pouvoir la visiter est de contacter l’Office de Tourisme d’Abbeville (qui est d’ailleurs super sympathique, soit dit en passant). Evidemment, le spectacle lumineux sera plus conséquent au moment où les rayons tombent sur les vitraux : calculez bien votre horaire !

Il est possible d’en savoir plus sur l’œuvre d’Alfred Manessier en allant visiter le musée Boucher de Perthes où une salle entière lui est consacrée. Beaucoup de belles découvertes en perspective. Il existe également un parcours Alfred Manessier à Abbeville, qui permet de découvrir des lieux atypiques. Charmant et bucolique (et le plan se récupère à l’OT).

N’hésitez pas à vous promener à Abbeville, la ville est pleine de surprises et vaut bien le détour. Peut-être, au détour d’une rue, croiserez-vous Christine Manessier, fille d’Alfred, avec qui j’ai eu la chance de pouvoir discuter pendant deux heures : elle m’a raconté l’histoire de « son petit papa », « ce petit picard devenu peintre ».
Encore merci à elle pour ce beau et riche moment !