L’Islande. Destination fantasmée qui attire de plus en plus de voyageurs avides de grands espaces, de découvertes et de nature (141 000 en 1990. 302 000 en 2010. Plus d’un million en 2015). Pays avec ses recettes miracles contre la Crise, les banquiers. Pays qui élit un humoriste à la mairie de Reykjavík et qui donne le pouvoir au Parti Pirate. Mais surtout, un pays hors du commun où j’ai eu le plaisir (la chance aussi) de me rendre à deux reprises entre 2011 et 2014, pour des sentiments très mitigés. Cependant, aujourd’hui, pas d’analyses profondes ni de dénonciations : simplement le récit d’un voyage qui a failli ne jamais se faire !
C’est à croire qu’il ne voulait pas de nous
[Une histoire de Bus en Islande]
Au milieu de nulle part : Kerlingarfjoll
Si vous connaissez la terre d’Islande, vous savez qu’une route mythique transperce le centre du pays (et les Hautes-Terres) pour rejoindre Akureyri depuis le Cercle d’Or : la F35. Avec ses graviers, ses paysages lunaires et désertiques, ses rivières tumultueuses et son impressionnante solitude, les voyageurs qui s’engagent sur ce chemin ont l’impression d’entrer dans un autre monde, aride et implacable. En effet, on ne s’engage pas n’importe comment sur la F35 : il vaut mieux être équipé d’un véhicule adéquat et suivre des conseils avisés au risque de quelques légers désagréments.
Comme je ne suis ni conducteur de 4X4, ni richissime, ni suicidaire et encore moins aventurier, c’est dans le cadre d’un séjour de vacance itinérant (aka une Colonie) que je me suis rendu chaque fois en Islande, en tant que Directeur. Pour voyager avec mon troupeau mon groupe de 18 jeunes, il n’y a pas 36 000 solutions : le bus, le bus et le bus (avec la Sterna en l’occurrence). Un passeport circulaire, beaucoup d’argent et youpla, nous voila à Kerlingmachin pour deux jours de randonnées, de balades dans les zones géothermiques locales, dans la boue et sous la pluie.
Après avoir bien profité et être rentrés, nous plions les sacs, rangeons les tentes et entassons tout le matos à côté de l’hôtel/camping, dans l’attente de notre bus prévu pour 15 heures. Nous avons le temps, nous sommes détendus : tout va bien se passer forcément.
Shit, were are my keys ? – © El Driver
15 heures et 30 minutes.
La route fait défiler son long ruban et rien ne vient perturber la rectitude de l’horizon. Sans être spécialement stressés, je constate que le bus prévu ne semble pas vouloir venir pointer le bout de son capot et qu’il va falloir légèrement anticiper le repas du soir si on ne veut pas se retrouver le nez dans nos défécations une fois arrivés à Akureyri . Qu’à cela ne tienne, je demanderais au chauffeur d’étendre un tout petit peu un arrêt dans une station-service/supermarché. Ils ont l’habitude.
15 heures et 45 minutes
Devant le retard qui s’accumule dans un gros tas, un coup de fil est passé sur l’Emergency Number de la Sterna, qui nous permet d’apprendre que le bus a crevé sur la route et qu’un léger délai supplémentaire doit être envisagé. Cependant, tout est mis en œuvre pour remédier à cela. Aucune inquiétude à avoir, vraiment. Il suffit d’attendre.
16 heures
Le bus arrive et se gare tranquillement, déchargeant son stock du jour. Après quelques échanges avec le chauffeur, nous apprenons qu’il doit attendre son collègue du nord pour lui donner des papiers qui doivent arriver à Reykjavik le soir-même. Du coup, on va prendre (encore) un peu de retard. En attendant, on charge. Beaucoup. Voire même trop si j’en crois l’amoncellement latéral de grosses caisses posées à côté de nos sacs. J’ai comme un très léger doute qui commence à poindre le bout de son nez dans ma tête.
16 heures et 30 minutes
Le bus N°2 est arrivé et reparti. Après beaucoup, beaucoup, beaucoup, beaucoup de manipulations, de coups de pieds, de déplacements, de bourrage, nous avons quand même réussi à tout faire rentrer dans le bus (et TOUT signifie BEAUCOUP). Il va être l’heure de partir. Le chauffeur se dirige vers la porte et met les mains dans ses poches. Une fois. Deux fois. Trois fois. Il regarde autour de lui, par terre et fait le tour du bus. S’arrête. Lâche un juron en islandais. Tourne la tête vers moi : « Shit. My keys ».
16 heures et 45 minutes
Il apparait que le chauffeur du bus N°2 s’est barré avec les clés du chauffeur du bus N°1. Nous devons donc attendre que ledit bus revienne vers nous. Je suis aux anges.
17 heures et 15 minutes
Le bus est revenu, le chauffeur est prêt. Nous nous apprêtons à monter dans le bus.
Shit. I don’t have enough places for all of you. © El Driver
Si, toi et moi, ô lecteur adoré, vivons dans le même monde, il est écrit que les bus doivent, en théorie, comporter assez de places pour que tous les passagers puissent poser leur séant dans des conditions de confort acceptables. Or, un bus qui ne remplit pas cette condition essentielle ne mérite donc pas de porter un tel. Si ? Non ? En tout cas, toujours est-il qu’après avoir fait monter les touristes puis notre groupe, nous étions encore une poignée de personnes dehors, devant la porte du bus, à attendre. Et c’est là qu‘est prononcée cette phrase mythique « Shit. I don’t have enough places for all of you ».
A ce moment bien précis, je ne pense qu’à une seule chose : « Ce. N’est. Pas. Possible ». Je sais que je suis une sorte d’aimant à emmerdes quand je fais des séjours à l’étranger et qu’il va forcément m’arriver un truc à un moment. De l’épaule pétée en plein jeu à l’ado qui fait une intoxication alimentaire à Saint-Petersbourg en passant l’évanouissement dans une réserve faunique au Canada, j’en ai vu des vertes et des pas mures. Sauf que, là, ça en devient surnaturel. Tout (et je dis bien TOUT) semble être fait pour que JE ne puisse pas monter dans ce bus. Pour que JE doive rester là, dans le froid et la tempête de Kerlingarfjoll. Ce n’est juste pas possible. Heureusement, après cinq minutes d’intense communication(s) téléphonique(s) entre le chauffeur et l’Emergency HotLine, une solution est trouvée : nous charger comme du bétail jusque un arrêt ultérieur d’où nous serons transvasés dans un autre bus.
Je me pose donc (presque) contre le chauffeur, mon sac entre les jambes, à côté de deux jeunes allemandes (un peu paumées), replié dans l’allée du bus. Mes chers animateurs ne sont guère mieux loti mais, heureusement, nous avons tous réussis à nous installer. Le bus part et je me bouffe la PIRE PUTAIN DE SÉANCE DE TAPOKU DE LA CRÉATION. Comme je soupçonne le bus d’avoir été créé AVANT les amortisseurs, chaque truc non-plat sur lequel roule le bus provoque un véritable bond du Mammouth. Si vous êtes sur un siège, ça passe encore. Mais le cul sur le sol, je vous jure que ça ne fait pas du bien. Du tout.
Shit. There’s a trailer on the road ! © El Driver
Le trafic sur la F35 est assez aléatoire. En-dehors des 4×4 et des bus, on ne croise guère d’autres véhicules. Quelques moutons égarés. Et puis des trous, des trous, des trous. Le chauffeur avance donc à son rythme, comme il peut. Quand il peut éviter, il évite. Quand il ne peut pas, il fonce tout droit. Cependant, certaines fois, on frôle l’incompréhensible. Comme lorsqu’il s’arrête. Ouvre de grands yeux, me regarde, regarde la route, me regard encore et dit, d’un ton froid comme le temps extérieur « Shit. There’s a trailer on the road ».
La bagnole que vous voyez actuellement sur cette photo vient en effet de perde sa remorque. Pouf. Partie la remorque. Un cahot et Hop, yaplu ! Et qui c’est qui se tape une putain de remorque en plein milieu de la route ? C’EST MOI ! Avec deux autres passages à la limite du nervous breakdown, nous avons quasiment défoncé les portes du bus, jailli sur la route et poussé loin, très loin, sur le côté, cette remorque diabolique pour la sortir autant de nos vies que de notre vue. C’est ensuite sous les applaudissements du bus que nous sommes remontés tandis que je daignais prendre le mouchoir tendu par une comparse visiblement émue par la saleté de mes mains.
J’ai passé le reste du voyage à prier les Dieux Antiques de me protéger, que plus rien n’arrive. Finalement, le salut est venu de Kjölur, où nous avons pu quitter le bus diabolique, profiter des geysers locaux et des fumerolles avant de pouvoir repartir vers d’autres aventures, d’autres bus et d’autres découvertes locales. J’ai cependant profité de cet arrêt pour apprendre quelques petites choses très importantes :
La prochaine fois que vous irez en Islande : faites attention et n’oubliez pas LA règle d’or qui s’applique en tous lieux et en tous temps et que j’essaie de propager autant que faire se peut « Take nothing but pictures. Leave nothing but footprints ». Vous pouvez aussi consulter le dossier spécial « Conduite en Islande » par Grégory Rohart pour vous préparer au mieux.