Cela faisait longtemps que je voulais écrire ce genre de papier, sans pour autant que je ne sois capable, jusqu’à présent, de trouver une approche convenable, circonstanciée et de bon aloi. Or, mon récent voyage au Nunavik, pour le compte de la Team Givrés, me crée justement cette opportunité. C’est un texte qui est dans la lignée de beaucoup d’autres déjà parus en ce lieu : intimiste, évasif, pas forcément travaillé, écrit au feeling et l’envie, probablement plus pour moi que pour vous. Si vous me lisez depuis longtemps, vous savez que j’affectionne particulièrement ce genre de travail, à contre-courant d’une certaine tendance. Si vous me découvrez : bonne lecture et soyez les bienvenus ici !
Sur mes traces
– Pensées voyageuses du Nunavik –
Quoi de plus commun qu’une trace ?
Qu’elle soit une fine ligne dans un décor enneigé, une imposante courbe profondément enfoncée dans la boue d’un chemin, une à peine perceptible trainée colorée, une branche cassée ou une suite de tâches pointillées, c’est un élément naturel inscrit dans la Nature et indissociable de l’exploration, de la découverte, de l’errance. J’ai toujours été attiré par les traces. Pour moi, elles sont bien plus qu’un simple aléas : elles sont un témoignage, un message, une invitation : le témoignage d’une présence précédente. Le message que vous n’êtes pas tout seul à passer en ce lieu. Une invitation à les suivre et à parcourir un chemin déjà emprunté mais dont vous êtes incapable de connaitre la destination.
Au Nunavik, en hiver, le concept de trace revêt une dimension bien particulière. Quand les paysages sont recouverts de neige, c’est toute une vie qui se dessine, à rebours, devant les yeux. Souvent, très souvent, les tempêtes effacent et revirginisent le décor pour un nouveau départ. Cependant, quand la chance et le temps sont de la partie, cela devient un plaisir que de revivre, par procuration, les événements du passé.
Ici, c’est une bande de lagopèdes qui s’est arrêtée, qui a tourné un petit peu en rond avant de repartir. Là, ce sont trois loutres qui ont joué follement sur la glace. La-bas, ces trainées parallèles sont la preuve qu’une motoneige a tracé son chemin vers le Camp. Pour qui sait déchiffrer le livre de la Nature, tout est limpide, évident, lisible. D’ailleurs – et je n’en avais pas conscience avant de voyager là-haut – savoir interpréter les traces est une obligation pour ceux qui chassent et se nourrissent de gibier. Pour un peuple tel que les Inuits, c’est un savoir qui m’a paru quasiment inné mais qui est bien sur le fruit d’une connaissance ancestrale et d’une transmission de génération en génération.
Je ne sais ce que vous faites mais il est, pour moi, un plaisir subtil, léger et incroyablement satisfaisant : créer sa propre trace. Quitter le confort du sentier tout fait, c’est partir vers l’inconnu et ses plaisirs. Si je voulais me livrer à une grosse séance de #FapFap mental, il me serait facile de développer pendant de nombreux paragraphes tout ce qui découle de cette notion de « Créer sa propre trace ». Je pourrais vous expliquer que seuls les plus courageux quittent les chemins balisés pour s’aventurer vers les territoires vierges qu’ils sont les premiers à explorer. Je pourrais extrapoler et resituer ceci dans un contexte professionnel, parler de la création d’entreprise, de choix de vie, de décisions qui cassent la routine et pètent le moule. Pour le moment, je vais me contenter de vous dire que c’est jouissif d’avancer sur une neige vierge de tout passage précédent, que c’est un bonheur que d’avancer en solitaire, en ski de fond et dans un paysage de rêve.
Ce qui est triste, par moments, avec les traces, c’est qu’elles ne sont pas infinies. Certaines n’ont ni début, ni fin. D’autres s’arrêtent abruptement et offrent une énigme insolvable. D’autres encore semblent être une moquerie, une vaste blague à vos dépends. Je me souviens m’être souvent demandé « qui » avait bien pu passer là, au milieu de nulle part, en haut de ce col. « Qui » a osé souiller ce territoire avant moi et laisser son témoignage inscrit en lettres de blanc ? « Qui », quand, pourquoi ? Où allait-il, d’où revenait-il ?
Les traces, dans le voyage, sont merveilleuses quand elles ne sont pas définitives. C’est leur côté évanescent, temporaire, diaphane qui leur donne toute séduction. Une trace présente à jamais est comme une trahison. On ne fige pas un moment, on ne marque pas, à jamais, son empreinte quelque part, que ce soit dans la neige, dans le bois ou dans la pierre. D’autres sont venus et d’autres viendront. Quel orgueil démesuré peut donc pousser à prétendre être plus que les autres, à vouloir préserver sa trace, personnelle, infime et insignifiante ?
Au Nunavik, les traces vont et viennent, au gré des caprices du vent et du froid. Moi aussi, pendant mon séjour dans cette nature froide, glacée et éternelle, j’ai laissé les marques de mon passage, aller et retour. Des lignes droites infinies, semblant guider vers les montagnes et vers la mer. Quand la neige fondra, tout aura disparu et le même jeu sera représentè, encore et encore.
Vanitas vanitatum et omnia vanitas !
Vanité des vanités et tout est vanité.
Si vouq désirez en savoir plus sur les histoires (sérieuses) de traces, foncez découvrir le concept Leave No Trace (LNT) qui dit, en résumé, « Leave nothing but footprints. Take nothing but pictures ». Si tout ceux qui voyagent s’appliquaient à mettre en œuvre ces quelques mots, notre monde se porterait bien mieux.