On les voit partout, ici et là. Ils sont un élément commun de notre espace, habituel et banal. Pourtant, dans cette banalité, ils offrent quelque chose d’immense : la possibilité d’un choix. Des autoroutes européennes aux chemins de campagne chiliens en passant les étendues enneigées du Svalbard, des routes de la Somme aux ruelles d’un village picard, ce sont nos meilleurs amis de voyages : les panneaux, poteaux indicateurs et autres carrefours !
Il faut tomber dans le panneau
Les panneaux et moi, c’est une histoire ambigüe. J’aime les rencontrer, au détour d’un chemin, voir se dessiner leur forme, au loin puis devenir de plus en plus précise au fur et à mesure que l’on s’approche. Quand on marche sans trop préparer, sans trop d’informations, ils apportent ce qu’il manque, ces panneaux. Ils donnent la direction, la distance et, parfois, le temps qu’il reste à parcourir. Alors, des fois, entre deux rencontres avec eux, on soupire, on grogne, on hésite. On se demande comment a été calculé le temps de trajet, s’il reste vraiment autant d’heures à randonner, autant de kilomètres à parcourir avant d’arriver au bout de la balade.
Moi, ce que j’aime cependant par-dessus tout, c’est arriver à un carrefour et me laisser guider par ce que je lis. Par un nom étrange, bizarre, intriguant.
Des fois, ils sont hésitants, aussi. La flèche ne semble pas pointer vers la bonne direction ou, au contraire, se tourne résolument vers ce qui ne ressemble en rien à un chemin. Même pas un sentier. Alors se pose la question de la confiance : faut-il suivre les yeux fermés l’indication donnée par ce poteau de bois mal taillé, qui chancèle au moindre coup de vent ? Ou faut-il plutôt appeler à la rescousse la technologie moderne et se géolocaliser avec l’aide d’un satellite qui n’en finit plus de tourner ?
Moi, ce que j’aime cependant par-dessus tout, c’est arriver à un carrefour et me laisser guider par ce que je lis. Par un nom étrange, bizarre, intriguant. D’un côté, la promesse d’une marmite des géants, de l’autre de la randonnée de l’enfer et, encore plus à droite, du trou du diable. Juste quelques lettres apposées aux côtés d’une direction à suivre. Aucune explication. Que faire alors ? Si le temps et la météo le permettent, il m’arrive souvent de laisser tomber le plan A pour suivre le C qui va m’emmener vers le D, le E et le F, quitte à devoir ensuite passer I, J, K et F pour retourner à B. Mais n’est-ce pas justement quelque chose de délicieux, que de s’offrir le temps d’un détour, vers l’Inconnu (mais pas trop) sans savoir ce qui va se trouver au panneau suivant, au panneau d’après, au panneau final ?
Personnellement, c’est ainsi que apprécie de randonner lorsque je suis seul, dans un espace-temps quelconque : repérer, suivre et aller. C’est ainsi que je me suis retrouvé à gravir des collines autour de Queenstown, à chasser le Leprechaun dans les Terres Ancestrales, à me promener sur la Coulée Verte et à vivre mille et une expériences que je n’aurais jamais connu si mon regard n’était pas tombé sur ce panneau, juste là.
Un début et une fin
Présents à l’entrée d’une ville, d’un département, d’une région, d’un pays : ils marquent l’entrée symbolique dans un nouvel espace délimité par la seule volonté humaine. Parfois borne frontière fatiguée par le passage des siècles, tantôt petit morceau de fer cloué au mur et d’autre fois immenses panneaux métalliques rutilants, ce sont les jalons immanquables de n’importe quel voyage.
Lorsque nous partons explorer les Hauts-de-France, c’est toujours un marqueur émotionnel important que d’en croiser un : ils prouvent que nous bougeons, que nous allons quelque part, que nous nous déplaçons. De la Somme au Pas-de-Calais. Du Pas-de-Calais au Nord (et vice-versa). A l’échelle hexagonale, cela reste encore relativement modeste mais quand le roadtrip se veut continental, chaque passage de panneaux devient une vraie aventure, évocatrice de promesses rares. Ainsi, mes traversées de l’Amérique du Nord restent marquées par ce souvenir : l’apparition du panneau annonçant notre entrée dans le Yukon, l’arrivée dans le Wyoming, le Montana, le Nouveau-Mexique et autres Idaho. Chacun de ses passages était l’occasion d’un arrêt pour immortaliser une nouvelle étape de franchie, un nouveau nom à cocher sur notre liste, un nouveau rêve qui s’accomplit.
Chaque passage de panneaux devient une vraie aventure, évocatrice de promesses rares.
Ils saluent donc l’arrivée mais aussi le départ : j’ai souvent un petit pincement au cœur quand nous quittons un lieu aimé et que j’aperçois un nom barré, sur la droite de la route. Partir pour mieux revenir, certes, mais partir quand même. Reviendrons-nous un jour, de nouveau, ici ? Est-ce la dernière fois que je vois ce paysage s’évanouir doucement dans le verre mal lavé d’un rétroviseur ?
Les voyages sont ainsi faits, de premières fois, de retours, d’au revoir et d’adieux. Et, parmi tout cela, ce sont bel et bien eux, les panneaux, qui en sont les premiers et plus fidèles témoins !
Une promesse à tenir
Devant un glacier, en Islande. Sur les hauteurs de l’Altiplano, au Chili. Devant un embarcadère, en Nouvelle-Zélande. Au détour d’une route du Donegal, en Irlande. Dans un refuge du Parc des Ecrins, en France. Sur une autoroute d’Alaska, du Canada, de Wallonie, de Finlande. Sur une voie samarienne, méditerranéenne, européenne.
Quel est le point commun entre tous ces lieux ?
J’y ai aperçu un panneau indicateur qui m’a donné envie d’aller voir, envie que je n’ai pu réaliser.
Alors, je me suis la promesse de revenir, un jour. De marcher sur mes propres traces, mes propres pas. De retracer mon itinéraire. Pour voir, savoir, découvrir, concrétiser. Pour ne pas laisser le souvenir disparaître, pour savoir ce qui se cache au-delà de l’horizon, fut-ce à cent mètres ou mille kilomètres.
Ces panneaux m’ont appâté. Ils m’ont intrigué, aimanté et sont – parmi tant d’autres – une raison plus que valable pour aller voir, enfin, de quoi il retourne !
Toucher du doigt la réalité d’un rêve qui s’accomplit
Si on m’avait dit, dans ma jeunesse, que j’irai un jour explorer l’Alaska avec deux potes venus me voir au Yukon, je pense que j’aurais rigolé et hoché la tête d’incrédulité. Et pourtant, c’est bien ce qui s’est passé à de multiples reprises en 2009 : j’ai silloné the Last Frontier à plusieurs reprises. Et, ce panneau Alaska immense que l’on trouve derrière la frontière, c’est un arrêt photo obligatoire car il symbolise cela : l’accomplissement d’un rêve, la preuve matérielle que cela se passe pour de vrai, en ce moment même.
Cette histoire, je peux la décliner en bien des endroits : quand j’ai mis les pieds pour la première fois en Sicile, au Svalbard, au palais du Facteur Cheval, aux Caraïbes ou à New York. A chaque fois, ce fut la même : la preuve que je touchais réellement l’un de mes rêves était là, au bout même de mon doigt.
Alors, rien que pour ça, pour être la preuve matérielle de tout cela, je n’ai qu’une seule chose à dire à tous ces panneaux, ces carrefours, ces poteaux indicateurs d’hier et d’aujourd’hui : merci (et à bientôt) !