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Se la couler verte en la vallée

C’est un après-midi d’août 2021. Un que rien ne différencie des autres. Le temps hésite à choisir sa couleur, le thermomètre joue au yoyo et le bon sens me conseille fortement de ne rien faire, de rester simplement à lézarder en mon amiénoise tel le premier lamantin dépressif venu. Or, le Conseil Familial en a décidé autrement : il apparait qu’un consensus a été trouvé autour d’activités nautiques : une vague histoire de pagayer, de canotage, de choses autour de l’eau, d’une base nautique. Or (derechef), je ne suis pas du tout attiré par ce genre de choses, l’univers liquide n’étant définitivement pas un milieu dans lequel pourrait se situer ma zone de confort. Dès lors, j’ai fait contre mauvaise fortune bon cœur : pourquoi ne pas profiter de cette incursion en la Somme campagnarde pour randonner un peu dans le coin en solitaire, comme à mes plus grandes heures néozélandaises ? Et c’est donc ainsi que, pendant une heure et demie et une dizaine de kilomètres, j’ai renoué avec le plaisir simple de la randonnée sans autre but que d’avancer vers là-bas, au loin. C’est aussi ainsi que j’ai découvert un chouette parcours forestier, ombragé et ferroviaire : la Coulée Verte !

Il était une voie

La Coulée Verte, c’est l’histoire d’une voie de chemin de fer qui reliait Amiens à Beauvais et qui fut déclassée par la SNCF. Le tronçon samarien suit le fond de la Vallée de la Selle et traverse huit communes de la Somme, entre Bacouël-sur-Selle et Monsures, sur une distance totale de 17 kilomètres. Ouverte au public en 1997, la Coulée Verte est l’exemple parfait de ce que peut donner une réappropriation d’anciens tracés ferroviaires : il y a bien sur l’exemple connu de la Petite Ceinture à Paris, devenu un terrain de jeu fabuleux mais cela se trouve ailleurs, comme dans le Perche ! Personnellement, j’adore vraiment cheminer et chercher les petits détails qui témoignent plus que trahissent de ce qui passait ici hier. Cela peut être un vieux panneau, un aménagement routier désuet, des pancartes rouillées envahies par les ronces ou, simplement, un pont trop métallique pour être uniquement piéton. Bref, c’est ce genre d’aménagement, de passerelle temporelle, qui donne un sens pluriel au voyage.

De Lœuilly à Conty

Pour des raisons essentiellement techniquo-familiales, c’est à Lœuilly que j’ai embarqué sur le chemin de la Coulée Verte, en me dirigeant à dessein vers le sud (et l’Oise). Cela veut donc dire que je n’ai pas (encore) exploré le tronçon de de départ, qui relie Bacouel à Lœuilly, sur une distance de sept kilomètres et demi.

Devant moi, deux traces qui se longent sans se croiser, tendant vers l’infini (et probablement même au-delà). Au-dessus et autour de moi, une voute arboricole, fraiche et ombragée. Derrière moi, là-bas au loin, ma famille qui navigue. J’avance doucement sur le chemin un peu boueux, avec cette douce incertitude de ne pas trop savoir où aller. J’ai un tracé indicatif sur le téléphone et quelques indications orales, ce qui est bien suffisant. Il a été également entendu que je pouvais avancer à mon gré, sans souci d’horaires ou de demi-tour, sachant que je serais récupéré lorsque le temps serait venu. Avec trois heures de libre et un chemin à explorer, que demander de plus ?

Le son de mes semelles cramponnées m’interdit une approche furtive et c’est avec autant de regrets que d’émerveillement que je longe les étangs répartis au long du chemin. Ici, un héron s’envole avec sa majesté notable. Là-bas, un ou deux hameçons flottent silencieusement. Je croise deux vélos, échange un sourire. Salutations d’usages. Puis, petit à petit, les empreintes deviennent rares et que les rencontres inexistantes. Je sais que je suis entre deux villages, dans une zone peu courue mais je suis étonné. Suis-je vraiment seul à parcourir cette voie ? Les retrouvailles avec la départementale, à l’entrée de Conty, m’offrent un tout petit pic d’adrénaline en me laissant la possibilité d’un choix entre gauche, droite et rectitude. Cependant, pensant (à juste titre) que la sinuosité ne va pas de paire avec le ferroviaire, c’est vers l’horizon que j’avance, accompagné cette fois par les hennissements des chevaux locaux (qui ne sont pas à vapeur, hélas).

Un tout petit passage par l’office de tourisme et une discussion sur la maçonnerie locale m’orientent vers cette route que je sais d’emblée la bonne. Je laisse la gare à ma gauche, garde la Selle à ma droite et emprunte le second tronçon samarien de mon itinéraire du jour, me disant que je vais même pouvoir aller surement plus loin que prévu.

De Conty à Monsures

Si j’avais trouvé le premier parcours (un peu) fréquenté, que dire des quatre kilomètres suivant, si ce n’est dire que je fus totalement, absolument et objectivement seul sur l’intégralité du tracé ? Je n’ai – et je crois bien que c’est la première fois – croisé personne. Pas une âme, pas un bipède. Rien. Personne. J’étais seul sur ma planète, dans mon univers. Toujours avec mes deux lignes parallèles comme guides, je me suis contenté de sourire, de respirer et de prendre le luxe inconcevable de saisir mon temps, d’avancer à pas décomptés. Un la fois, doucement. J’ai tenté de surprendre et d’être surpris, d’imaginer, d’apprivoiser. Je me suis retourné, à quelques reprises, juste comme ça, pour voir. Mais nuls autres sons que les miens pour résonner en ces lieux. Petit plaisir égotique et solitaire.

Une ou deux fois, j’ai un eu doute sur le chemin à emprunter, étant donné que le fléchage commence à dater mais se perdre est virtuellement impossible car toutes les voies, même les vertes, vont dans la même direction, dardent en simultané, toutes tournées vers le dernier arrêt avant de quitter la Somme : Monsures.

Monsures, tout le monde descend.

Croyez-moi : Monsures, un jeudi en fin d’après-midi, c’est calme. Très calme. Peut-être même trop calme. Je pensais trouver ici, peut-être, une halte où me rafraichir et dessécher mon gosier de randonneur avec du jus de houblon local mais c’était, hélas, trop d’espérances car nul bar en ces lieux (mais une pico-brasserie, elle-même fermée). Par contre, j’ai trouvé autre chose à Monsures : la plus belle Mairie de France, trop belle pour ne pas immortalisée, trop délicate pour ne pas l’imaginer enchantée, tellement elle est semble petite et frêle, posée là à côté de l’église.

Comme je ne savais pas quoi faire, comme il était tôt et que j’avais encore de l’énergie, j’ai décidé de laisser derrière moi espoirs, rêves de bière, tentations monsuriennes et vie samarienne pour passer le cap, franchir la frontière, partir au loin et aller, en Somme, dans l’Oise.

Croissy-sur-Celles, terminus.

Vingt minutes et un kilomètre et demi plus tard, je suis amoureux. J’ai eu le coup de foudre, des frissons dans le corps, l’âme qui tangue et les yeux remplis d’étoiles en arrivant à la gare SNCF de Croissy-sur-Celles. Sans prévenir, elle m’est tombée sur le coin de la tronche, juste au bord de son quai original. Je lis à mots feutrés ce que l’on devine encore sur sa façade et j’entends presque des coups de sifflets annoncer le départ du train. Bref, j’ai trouvé mon terminus, en cette gare devenue maison où je m’imagine déjà vivre. Un panneau me susurre à l’oreille l’histoire d’ici, me donne des dates, des indications. Il m’explique aussi que je peux continuer mon chemin, si je veux et tracer ma propre voie dans l’Oise, en gardant Beauvais devant moi et Amiens derrière. Il me parle tout bas, me promet des sillons, des rencontres, de la douceur et l’ombre. Il me dit de ne partir, de reprendre la route et d’avancer, encore, encore, encore.

Mais là, je suis las. Un début d’ampoule s’allume sur mon talon, l’heure fatidique de la fin de journée est sonnée au clocher du village et les 260 habitants de Croissy rentrent déjà en leurs habitations : il est temps pour moi d’aller poser mon auguste derrière sur les escaliers de l’église et dappeler tout cela une journée, comme disent nos ami.e.s anglophones.

Et c’est donc ici, aux confins de l’Oise et à portée de chaussures de la Somme que s’est conclue cette douce découverte de la Coulée Verte. J’ai regardé voler les hirondelles et circuler les voitures, en me demandant ce que cela pouvait être de vivre en ces villages reculés, où ne passent que de bus et où les commerces ont fermé, se sont enfuis. Quelques adolescent.e.s sont passé.e.s en vélo, autant intrigué.e.s que riant.e.s.

Et, alors que sonnait de nouveau le tocsin, j’suis monté dans la voiture et refermé la porte autant sur la journée sur que la parenthèse de la belle, tranquille et solitaire Coulée Verte de la Somme !

La coulée verte en pratique

La Coulée Verte, sur le secteur de la Somme, peut allègrement se faire en une journée, sans se presser ni se stresser. Sur le parcours sont répartis, avec sagacité, quelques (vieux) bancs et quelques tables de pique-nique. On trouve également des panneaux informatifs qui expliquent le pourquoi du comment. Pas vraiment de soucis concernant le chemin à suivre, il suffit de garder les deux sillons parallèles devant soi ! Le sol peut être boueux, ce qui fait que je recommande d’être correctement chaussé. Prévoyez aussi de l’eau et du goûter si vous poussez au-delà de Conty, on ne trouve plus de commerces passé ce point.

Si vous n’êtes pas à vélo (ou si vous n’aimez pas faire des A/R), il faut prévoir un plan pour vous faire récupérer. Des lignes de bus circulent ici et là. Peut-être une piste à explorer. Enfin, le tracé ne présente vraiment aucune difficulté et est parfait pour occuper une journée en famille !

Le tracé samarien est disponible ici (en PDF) et ici, sur le site officiel de Somme Tourisme.