Au revoir le Treizième (et Paris

(Au) Revoir Paris

Un matin de février

Clac.

La porte de l’appartement se ferme une dernière fois. Je n’ai plus les clés, rendues précédemment au gardien. En même temps que ce penne qui s’enclenche, c’est une page importante de ma vie qui se tourne une bonne fois pour toute, en cette grise et humide matinée de février. Cet ascenseur qui descend, ces pas qui résonnent dans le couloir trop de fois parcouru, cette autre porte (sensée être) automatique qui s’entrouvre lentement. Dehors, j’embrasse du regard cet univers de béton et de verticalités où je viens de passer les sept dernières années. Je souris, murmure un petit adieu et fonce rejoindre Pitchoune et Papy.

C’est fini, Paris.

Flashback

Mon histoire avec le 13ème arrondissement, c’est celle d’un apprivoisement long, teinté de toutes les nuances de l’émotion humaine. Il y a le grattage de tête dubitatif, devant le béton, la saleté. L’émerveillement et la surprise, devant les histoires et les secrets qui se dévoilent au gré des pas. L’incrédulité, devant des scènes de violence inhabituelles. La joie, à l’inauguration de nouveaux espaces pour enfants. Tout mon séjour en ce quartier a été marqué par cette dualité, cette opposition systémique, comme une pièce aux deux faces antagoniques qui passeraient sa vie à rebondir encore et encore, sans fin, sans trop savoir quel visage montrer.

Le treizième arrondissement est une source de paradoxes infinis, qui ne semble savoir sur quel pied danser. On y trouve, pèle-mêle et sans aucune frontière distincte, de petits villages d’un autre temps, des ensembles d’immeubles qui semblent vouloir déchirer le ciel, les restes d’usines automobiles, des friches abandonnées, une ruelle piétonne d’antan, un musée du street-art à ciel ouvert, des fils de Butte qui aiment à s’encanailler, des fans de K-Pop, des dragons de festival, des cours de Taï-chi matinaux, une saleté crasse et des travaux, des travaux, toujours des travaux.

Sur la place

Nous habitions, lors, à Porte de Choisy, dans l’un de ces grands ensemble sans âme ni beauté, construit à une époque où le béton semblait être la réponse à tout, partout, tout le temps. Notre immeuble est laid, comme le sont ses voisins. La place, étendue à ses pieds, était laide, elle aussi. Quelques travaux ont offert un semblant de seconde jeunesse à l’ensemble. Des fresques sont apparues en même temps que la Petite Ceinture se transformait en voie de garage pour camions fatigués. L’arrivée programmée des extensions métropolitaines a créé encore plus de travaux, de nouveaux chantiers s’empilant sur des chantiers déjà existant. Le quartier entier semblait se transformer en une carrière à ciel ouvert, sans répit ni repos. Au gaz des voitures venaient s’ajouter les scories, les fumées, les poussières de trou sans fond et de transports incessants. Il fallait apprendre à zigzaguer, à emprunter les chemins protégés, loin de toute cette folie urbaine qui, heureusement, ne gangrenait pas toutes les voies.

Dans l’immeuble

Dans notre immeuble, cohabitaient toutes les classes sociales imaginables. Des petites voisines installées ici depuis l’Aube des temps aux prophètes religieux hurlant à tue-tête (et au milieu de la nuit) les Louanges de JC himself en passant par ceux arrivés ici par hasard, au gré des offres du parc HLM de la ville de Paris. Je me souviens de cette famille de rabbins du 5ème. Du salon de jeu clandestin du 17ème, démantelé peu après notre arrivée. De nos voisins d’immeuble que nous connaissions mieux que ceux de notre palier. D’une succession de gardiens désabusés, ne sachant que faire pour entretenir ce dédale. De notre cave, visitée tant de fois (et où j’ai trouvé un jour une niche entreposée dedans). De la fois où les ascenseurs sont restés bloqués une semaine entière et où une chaîne de solidarité s’est mise en place pour aider les personnes de l’Âge d’Or à monter leurs courses. Il y avait également ces fêtes de quartiers, où tout le monde se réunit le temps d’une soirée, pour chanter, danser et refaire le monde autour de plats venus des quatre coins du monde. Il y avait aussi ces papys et mamies asiatiques, passant leurs journées au même endroit, devenus tellement habituels dans le paysage qu’ils semblent être là de toute éternité. Granitiques. Intemporels. Presque immortels.

Et puis, il y a ces rencontres du quotidien, ces mille et une personnes croisées tout au long de notre passage, qui sont devenu.e.s des repères, jour après jour. Cette maman, sur le trottoir, tous les matins, en emmenant les enfants à l’école. Cette caissière du Géant, toujours le sourire au lèvres. La famille tenant le petit traiteur de la galerie commerciale, avec leurs enfants venant travailler tous les samedi, et à qui j’avais demandé de traduire une blague sinophile des Shoes Your Path. Les autres parents d’élèves, ombres de la matinée depuis proche, au fil des années, vus le matin en déposant les p’tiots et retrouvés, le soir, au moment des beaux jours, lorsque le jardin devient un lieu de passage aussi obligatoire que nécessaire pour la santé mentale de tous.

#VieDeParent

Le treizième arrondissement et cet appartement de la Porte de Choisy, c’est aussi là où je suis devenu Papa. C’est ici que mon Fils a vécu les premières années de sa vie, qu’il a connu la Collectivité, qu’il a fait ses premiers pas, qu’il a rencontré ses grands-parents. Nous avions construit toute une mythologie, une détermination linguistique spéciale des lieux où nous allions. Tel jardin, situé au pieds des Tours, était “Le petit jardin des Grands Garçons” tandis que celui, sis en face, était le “Grand jardin des Petits Garçons”. Le magasin où je me ravitaillais en e-liquide était “le magasin de Papa”, l’église “Le château” et ainsi de suite. Nous avions nos habitudes, nos coins préférés, nos itinéraires de prédilection. Combien de fois suis-je parti, un matin, sur un coup de tête, avec lui, explorer le quartier ? Dans le landau, la poussette, en écharpe, sur les épaules, en trottinette ou à vélo, le treizième était notre, tout simplement. Nous en connaissons tous les jardins, des plus grands aux minuscules, des plus récents aux antédiluviens. Nous y avons fêté anniversaires, fin d’années, diplômes et autres, toujours accompagnés, heureux jusqu’au damné coup de sifflet annonçant la fermeture.

Instantanés

Les Olympiades, un univers dans un univers, avec les étals de marchés devenus pagodes, les galeries où s’entassent les fans de K-Pop et les festoches estivaux qui transforment, le temps d’une journée, l’ensemble en un grand village. La tonte des moutons à Kellerman. Les incompréhensions linguistiques avec les grands-parents venus chercher les enfants à l’école sans parler ni comprendre un traître mot de français. L’émerveillement des premières fois à Tang Frère, sans cesse renouvelé. Les balades Street-Art entre ici et là, proposées à tous ceux et celles qui le voulaient. Mes tours et détours à la recherche de l’inconnu. Fils qui marche pour la première fois, poursuivi par Papy. La découverte d’un œuf de pigeon sur le balcon. La danse des Lions, les tambours et les mariages. La Ligne 7 et l’annonce rituelle à Maison Blanche. Les food-trucks de la BNF. La jalousie devant les HLM de Saint-Emilion. Le bonheur d’un dimanche dans le parc du même nom. L’ouverture d’une friterie De Clerck : le bonheur. Sa fermeture : une tristesse infinie. Le spectacle de la Tour Eiffel illuminée par le soleil couchant en été, depuis la fenêtre de notre chambre. La fumée de Notre-Dame par cette même fenêtre. Le feu d’artifice du 14 juillet, toujours au même endroit. Y observer aussi Pitchoune et Titi jouer dans leurs cours respectives, les premiers jours. Passer et repasser par cette toute petite ruelle piétonne et pavée, comme un écrin protégé. Voir, au quotidien, la fac’ de Tolbiac-PMF, où j’ai fait une grosse partie de mes études. Retourner bouffer au Trassou. Recroiser des directeurs.trices d’école où j’ai bossé il y a vingt ans. Le resto YALLAAAAH avec David.

Revoir Paris

Depuis ce dernier regard, bien de l’eau a coulé du ciel et dans les rigoles locales. Sans aucune émotion, la page s’est tournée et nous avons commencé une nouvelle vie amienoise, que je pensais totalement inenvisageable il y a peu. Je découvre qu’il y a une vie en-dehors de la Capitale et que l’on peut très bien vivre sans métro. Du coup, j’ai laissé passé du temps, beaucoup de temps avant de retourner sur mes propres pas. Et puis, la semaine dernière, je suis monté dans un train et j’ai parcouru, erré, marché toute une journée, de la Gare du Nord à la Porte de Choisy. Dans la calme capitale, j’ai retrouvé mes marques, mes habitudes, mes chemins de prédilection, comme si je l’avais quitté hier. Dans mon treizième, rien ne semble avoir changé. J’ai revu les mêmes visages, croisé les mêmes habitué.e.s et refait exactement le même chemin qu’avant. Quelques vicissitudes administratives m’ont obligé à retourner dans notre immeuble, où une porte blindée clôt notre appartement (apparemment) inoccupé. Le gardien a encore une fois changé, la porte n’est toujours pas automatique et la voisine du 12ème m’a salué, souriante et pressée.

Salut Paris, au plaisir de te (re)voir !