Lao Tseu a dit « Un voyage de mille lieues commence toujours par un simple pas ». Ce qu’il n’a pas dit – ou qui n’est pas parvenu jusqu’à nous, c’est qu’avant que le voyage ne débute, il faut quelque chose. Une envie, une pensée, une étincelle. Pour certain.e.s, cela est une rencontre, une photo, un témoignage. Pour d’autres, ça peut être un récit, un livre, un pèlerinage. Bien souvent, cependant, les plus grands voyages naissent d’un simple instant, qui va alors changer toute une vie. Ces fameux instants, on ne saisit leur intensité qu’après lorsque tout est fini, conclu, achevé. C’est en jetant un regard en arrière, sur le chemin fraichement parcouru, que l’on se rend compte que c’est là, à cette seconde S de la minute M de l’heure H du jour J que tout a vraiment commencé. Qu’a été fait le premier pas. Ces voyages qui changent une vie, j’en dénombre (au moins) cinq dans mon existence. Tous essentiels, tous fondateurs, tous profondément marquants. Et voici l’instant qui les a fait naitre !
Lao Tseu a dit « Un voyage de mille lieues commence toujours par un simple pas ». Ce qu’il n’a pas dit – ou qui n’est pas parvenu jusqu’à nous, c’est qu’avant que le voyage ne débute, il faut quelque chose. Une envie, une pensée, une étincelle.
2003 – Hein, on peut bosser à l’étranger ?
Le début d’un nouveau millénaire, l’arrivée d’un nouveau siècle et l’envie, de mon côté, de tenter quelque chose de nouveau. Mon planning universitaire me laisse assez d’heures libres pour bosser, ce que je fais entre centres de loisirs parisiens, surveillance de cantines et ateliers bleus dans les écoles. Mais, j’ai envie d’autre chose. De bousculer un peu la routine. Qu’est-ce que je peux faire avec mon BAFA ? Les colos, j’ai déjà donné et non merci. Mais bon, on peut quand même aller faire un tour sur ce site, voir les offres d’emplois (…). Tiens, c’est quoi ça ? Encadrer un séjour linguistique en Irlande ? Avoir de l’expérience avec les ados. Hum, je parle anglais comme un bœuf musqué et le seul ado que j’ai jamais encadré était moi-même en photo mais, sur un malentendu. Bref, allez, CV, LM, mail, cliquer sur envoyer et on va bien voir (…). Ah, j’ai un nouveau mail. Candidature bien reçu, entretien. Hu ? J’ai un entretien ? Ils veulent me rencontrer pour me faire aller en Irlande ? En famille d’accueil ? Je vais être payé pour aller à l’étranger ? Mais c’est génial !
Le reste, c’est ma légende personnelle, ma découverte de l’Irlande et un brasier qui s’est allumé dans mon cœur pour ne plus jamais s’éteindre. Je me revois galérant pour aligner les mots, émerveillé par le foot gaélique, béat dans le Connemara. C’était la première fois d’une longue série de voyages en terre d’Emeraude, série qui ne s’arrêtera probablement qu’avec ma mort. Et cette série, elle a débuté parce que j’ai répondu à une offre d’emploi.
Comme ça, juste pour (sa)voir !
2007 – Le PVT ? C’est quoi ça ?
Tadoussac : les baleines nagent allègrement dans le Saint Laurent, nous venons de manger notre première poutine et les ados de la colo itinérante que je dirige cet été là sont attablés non loin de nous, heureux et repus. Pendant ce temps, avec le reste de l’équipe (la moitié qui est également ma moitié), nous devisons avec des français installés dans le coin en famille. On se raconte nos parcours et la conversation amène naturellement aux raisons de notre présence ici. C’est à ce moment que j’entends prononcer pour la toute première fois trois petites lettres, trois consonnes qui vont bouleverser beaucoup, beaucoup de choses dans ma vie : « Nous ? On est au Canada en PVT ».
Sourcils levés, moues interrogatrices.
PVT ? Kesaco ?
Il faut savoir qu’à cette époque, le Permis Vacances Travail entre la France et le Canada n’est encore qu’un petit bonhomme âgé seulement de six ans et qu’il n’est entré en vigueur que le 1er juin 2001. Autrement dit, rien d’étonnant à ce que nous ne connaissions pas encore ce concept génial, fabuleux et à faire au moins une fois dans sa vie. Du coup, notre charmante famille française (que nous n’avons d’ailleurs jamais revu mais, si d’aventure et par le plus grand des hasard, vous lisez ceci : MERCI !) nous a expliqué le concept, les grandes lignes et nous a conseillé d’en faire un.
Savait-il, ce couple et leurs enfants que, grâce à eux, j’ai traversé la Canada en bus pendant une semaine, de Montréal à Whitehorse ? Que j’ai habité à Vancouver et à Terre-Neuve ? Que je me suis retrouvé à faire le chercheur d’or, le prof de tennis, le handler, le bucheron pendant une année ?
Ce blog, ma carrière professionnelle et le fait que je sois payé à écrire : je peux affirmer, sans exagérer, qu’une grande partie de tout cela vient de là, de ce dialogue, de cet échange, de cette explication. La petite pierre poussée qui devient avalanche, la goutte d’eau qui fait déborder l’océan, le battement d’aile qui provoque un ouragan.
2008 – Et si on traversait les USA ensemble ?
Je suis à Paris, en terrasse de mon bar préféré, la légendaire Taverne des Korrigans, sise dans le 5ème arrondissement. Avec moi, mon alcoolyte préféré, collègue d’animation devenu meilleur pote. Il sait que je pars bientôt au Canada. Il sait que je pars au Yukon et il en bave d’envie. On se charrie un peu, on lève un poil le coude et on se marre bien. Au détour des blagues, un vague plan s’échafaude, sur le ton de la boutade. Je lui propose de venir me voir là-bas, à Whitehorse. Et puis, tant qu’à faire, je lui propose aussi qu’on se chope une caisse et qu’on se barre traverser le Canada et les USA, de Vancouver à Montréal, sur la route, à la roots. Son sourire s’élargit, ses yeux pétillent. Une seconde de silence entre nous, une main qui claque sur la table, deux pintes qui s’entrechoquent et un OK sonore qui résonne. Nous venons signer un pacte sous le signe de l’ébriété, de la fraternité. On en rigole, on se fait des itinéraires, on formule des rêves. On a vaguement conscience d’avoir ébauché quelque chose du domaine de l’inconnu. Un vague truc très incertain et dont la probabilité d’aboutir est proche du néant. Mais la graine est planté, dans un terreau fertile.
Très fertile.
Tellement fertile qu’au mois de septembre 2009, je suis allé récupérer, à l’aéroport de Whitehorse, un Georginou complètement paumé, déphasé par son voyage depuis Pruillé-le-Chétif et 24 heures d’escale à Vancouver. Dix jours plus tard, nous avions la voiture et j’ai quitté Whitehorse en versant quelques larmes, à l’aube d’un roadtrip de vingt mille bornes en Amérique du Nord, qui allait nous mener du Cercle Polaire aux étendues du Montana, via une palanquée d’Etats et de parcs nationaux tous plus extraordinaires les uns que les autres.
Bien sur, comme les plans sont faits pour ne jamais être respectés, nous ne sommes jamais arrivés à Montréal. Mais j’ai quand même, trois mois plus tard, traversé les USA de long en large. C’est une autre histoire !
2011 – Rien de prévu. Et si j’allais en Nouvelle-Zélande ?
Au sortir d’une saison de ski, réalisée du côté de Valmeinier, alors que s’approche un séjour itinérant en Islande, prévu depuis quelques mois. Dans ma chambre parisienne, je me gratte la tête en me demandant de quoi demain, après-demain et les prochains mois allaient être faits. D’autres séjours ? Une nouvelle saison de ski hivernale ? En attendant de trouver la trace d’une réponse, j’ouvre machinalement le courrier reçu le matin même. C’est une feuille de paie que je parcours rapidement, sans réel intérêt. Sauf quand j’arrive au total en bas à droite. Plusieurs milliers d’euros, fruit des nombreuses heures supplémentaires engrangées. Je ne le savais pas et c’est donc une véritable manne qui me tombe d’un seul coup du ciel.
Qu’en faire donc, de cet argent ?
Et bien l’utiliser pour me barrer, pardi ! Et puis, tant qu’à faire, pourquoi ne pas en profiter pour me faire un second PVT ? Du côté de la Nouvelle-Zélande ? Allez, hop, c’est vendu. Un passage sur le site, quelques minutes pour ne pas faire de conneries en remplissant le dossier et quelques jours avant de recevoir le mail de confirmation. C’est passé comme une lettre à la poste et donc, le mardi 14 août 2011, j’ai bourré mon sac à dos ras-la-tronche, je n’ai strictement rien plaqué du tout et je suis parti, via Londres, Singapour et Sydney, voir comment était l’herbe kiwi.
Il a donc simplement fallu la combinaison gagnante pour débloquer ce second WHV : un planning vide, un rentrée d’argent inattendue et l’envie d’aller à l’autre bout du monde.
Rien de bien sorcier, en fait ! D’ailleurs, aujourd’hui et avec le recul, je me rends compte à quel point ce voyageur a été fondateur : j’ai touché du doigt LA liberté absolue, celle où l’on a aucun compte à rendre à personne, où l’on se déplace comme on veut et si on veut. Sept mois à bosser dans les fermes en HelpX, à me déplacer en auto-stop et à être payé (de temps en temps) pour raconter tout ça. Des fois, je me dis que, peut-être, j’aurais du repousser ce billet d’avion et ne pas rentrer. Souvent, je repense avec nostalgie à ces heures bienheureuses. Mais, avec des Si, on mettrait Amiens en carafe, à défaut de Paris en bouteille !
2018 – « Bonjour Florence »
Aujourd’hui, j’en rigole et avec Titi, on s’échange les anecdotes de nos voyages à deux comme d’autres enfilent les perles sur les fils. Mais pour en arriver là, à cette confiance commune et ces habitudes nées de la répétition, que de chemins parcourus, que de distances franchies !
Je savais, en entament le plus beau de tous les voyages, que beaucoup de choses dans mon existence allaient être modifiées. Par contre, dans cet océan d’inconnues, j’avais une certitude : le voyage allait continuer à être partie prenante de mon, de notre univers. Ca, c’était la pensée. La réalité, évidemment, a été tout autre. Parce que le voyage avec un bébé, ça ne s’improvise pas. Parce qu’un enfant, ça demande certains repères qui sont relativement incompatibles avec certaines formes de voyages. Parce qu’aussi, il faut du temps pour apprendre à connaître, à se connaître, à reconnaitre qu’il n’est pas encore temps, qu’il est trop tôt.
Puis s’en vient 2018. Trois ans, peu ou prou. Le moment est venu. On va se le faire, ce premier voyage à deux. Sauf qu’on ne va pas aller à Zanzibar, Moscou, Tombouctou ou Séoul. Non, on va faire proche, simple et évident : Lens. J’ai respiré un bon coup et j’ai écrit le courriel qui me trottait dans la tête depuis quelques semaines. Expliqué l’envie de faire cette première fois à deux dans le Nord, là-bas vers les terrils. Et Flo a été enthousiaste. Et tout s’est enchaîné sans accrocs, pour un séjour de rêve, teinté de frites, de charbon et de football. Après Lens, tout n’a été que facilité(s) et projets validés. Nous avons « fait » Porto, la Lituanie, Auxerre, Lausanne, Strasbourg et bien d’autres villes à deux. On va en faire encore bien d’autres des voyages, notamment dans le Nord, dans ce Nord que j’ai découvert à cette occasion et dont je suis tombé timidement amoureux, au point, cinq ans après, d’écrire des guides dessus et de me retrouver à errer au Cateau-Cambrésis en plein mois de décembre.
Et une fois encore, tout a démarré ici, avec ces deux mots « Bonjour Florence ».
Et c’est ainsi que naissent les voyages
Voilà, c’est comme ça que sont nés cinq des voyages les plus emblématiques, fondateurs, initiatiques de ma vie. Prises séparément, ces cinq expériences sont certes fortes mais c’est ensemble, comme dans une main de poker imbattable, qu’elles révèlent le voyageur que je suis, celui que je prétends être. Elles sont aussi la confirmation que les projets les plus fous n’ont pas toujours besoin de grand chose pour être lancés, mis en marche : je me suis retrouvé en PVT au Canada grâce une conversation (puis au Yukon après avoir regardé une carte de l’Amérique du Nord).
Simplement, il y a une chose qu’il ne faut jamais quitter des yeux, qu’il ne faut jamais oublier : les rêves sont le moteur de nos existences. C’est grâce à eux que nous nous élevons, que nous avançons, que nous allons de l’avant. Sans rêves, il n’y a pas d’espoirs, rien à se raccrocher. Et quand le rêve, quelque soit le concours de circonstances advenu, devient réalité, quand se dévoile le paysage tant désiré, quand survient la rencontre tant espéré : il est alors tant de s’imprégner, de s’immerger, de faire corps avec cet instant recherché.
Et puis, quand revient le quotidien et que l’on cherche quelque chose à faire, pourquoi alors ne pas se souvenir, essayer de retracer la naissance, trouver le chemin parcouru et, sur le ton de la rigolade, se lancer comme un défi à soi-même, une idée, une envie, un projet.
Oui, Lao Tseu avait raison : les voyages commencent forcément avec un simple pas. Mais celui-ci n’est pas toujours celui que l’on croit.
N’est-ce pas ?