“Maman, je vais en Irlande” (Chroniques Irlandaises Volume 1)

Entre l’Irlande et moi, c’est une vieille histoire d’amour: plus de quinze voyages depuis 2003 et le dernier datant de 2008. Mon retour en terre d’Erin, le temps d’une courte semaine, en avril prochain, sera donc une sorte de pèlerinage intime sur cette ile où je fis mes premiers pas de voyageurs. Par ailleurs, cet article ouvre, ici et et maintenant, un cycle que je nomme Les Chroniques Irlandaises et dont l’intitulé ne laisse pas de place au doute. Tous les articles qui seront dans cette catégorie n’auront pour but que parler, encore et encore d’Eire, de Dublin, de Limerick, Galway et  que sais-je encore…  Soyez donc les bienvenus et, si vous le souhaitez, embarquez donc avec moi !

Maman, je vais en Irlande !

L’histoire se passe dans un quelconque appartement d’un quelconque arrondissement de notre belle Capitale. Nous sommes en janvier 2003 et je tiens à la main une lettre dont le contenu ne cesse de me remplir de joie:

 Monsieur Cedric T.

J’ai le plaisir de vous annoncer que votre candidature a été retenue (…). Vous êtes affecté à la ville de Ballina en Irlande”.

Vous recevrez sous peu (…) vos dates et votre convocation de départ.

Cordialement,

Je savais que l’entretien s’était bien passé.
Je savais que j’avais mes chances.
Je savais mais sans le vouloir.
Je savais mais sans vouloir le savoir.

Cette interjection, ce cri venu du cœur que j’ai lancé à ma chère génitrice, c’était comme une porte ouverte sur un univers nouveau, inconnu jusque là: voyager ET travailler. Il existait des rumeurs, dans le petit monde de l’Animation, sur ces possibilités. Cependant, entre entendre et faire, entre écouter et agir, le fossé est immense. En retroussant mes manches et en fouinant dans les tréfonds du net, j’ai trouvé, j’ai candidaté, j’ai entretiennisé et j’ai gagné le droit de devenir Animateur de Séjour Linguistique.

Une première fois, ça ne fait pas toujours mal.

Le séjour en lui-même n’était pas franchement révolutionnaire: des jeunes, dans une ville d’Irlande, hébergés dans des familles d’accueil, avec 3 heures de cours d’anglais le matin, des activités l’après-midi, une grande excursion le samedi et un jour de congé le dimanche. Pour moi, par contre, c’était une toute première fois: avec des ados, à l’étranger, en famille, en Irlande, en solitaire: un cocktail qui a failli s’avérer létal.

Il faut savoir que Ballina est une charmante petite bourgade sise dans le rieur Mayo County, sur la côte ouest. La ville ne compte de remarquable que sa rivière, mondialement connue pour ses saumons. Autrement, elle est tout ce qu’il y a de plus irlandaise, avec ses pubs, ses églises, ses jeunes, ses ponts. Cela n’en restait pas moins un territoire d’un inconnu absolu pour moi et une zone de non-droit absolue.

Ballina_crest
Le blason de Ballina

Dès l’arrivée à l’aéroport de Dublin, je fus plongé dans un festin de découvertes: l’anglais et son accent aberrant, la circulation à gauche, la politesse des gens, les toilettes gratuites dans les stations-services, les fumeurs qui jettent leurs mégots à la poubelle, le cheddar dans les sandwichs et ainsi de suite. Tous les sens aux aguets, tel Colomb dans le Nouveau Monde, je m’imprégnais de sensations nouvelles, le sourire vissé aux lèvres et la chanson à la bouche.

C’est donc plein de confiance et d’efficacité que j’ai géré la répartition des gnomes dans les différentes familles et que je me suis dirigé vers ma  mienne n’à moi, celle où j’allais résider pour les dix jours à venir et dont la Patriarche (et unique membre en fait) portait le doux nom de Valery: une simple routine, dans la plus théorique des absolutés.

Las !

Dans quel pétrin m’étais-je fourré ?
Dans quel univers parallèle étais-je donc tombé ?
Dans quel traquenard m’étais-je laissé choir ?

Houston, on a un problème !

Imaginons que vous ne parlez qu’un seul dialecte, vaguement ressemblant à quelque chose de vaguement britannique et que vous ayez passé les dix dernières années à être convaincu que ce quelque chose était de l’anglais, renforcé en cela par l’enseignement reçu et, pire que tout, validé par de très bonnes notes. Imaginons ensuite que vous débarquez en pays anglophone, persuadé d’être capable de communiquer naturellement avec les fiers et ombrageux autochtones locaux et, qu’en fait, vous vous prenez la plus grosse baffe linguistique de votre vie en vous apercevant que:

1) Vous êtes incapable comprendre quoique ce soit à la discussion en cours.
2) Vous répondez “Yes I am” quand on vous “Do you speak english” et “French” à “What time is it ?”
3) Personne n’arrive à décrypter votre charabia et vous êtes rendus à montrer le beurre du doigt en faisant de grands sons gutturaux “Batard, batard”.
4) Vous ne parvenez même pas à prononcer le nom de la coordo’ locale: Niamhz (qui se prononce Nive en fait) .
5) Vous avez rendez-vous le lendemain (TOMORROW !) ) à neuf heures (NINE O’CLOCK) pour aller voir un… truc (SOCCATHING).
6) Valery vous a montré, gestes à l’appui, comment marchait la douche, lassée de vos borborygmes dubitatifs.

Bref: vous êtes arrivés sur de vous et vous êtes, en fait, dans une mouise d’ores et déjà légendaire.

Un solitaire qui était tout seul en solo

Je me suis donc retrouvé seul dans la maison, Valery étant parti se bourrer la tronche comme tous les samedis soir, avec un sandwich mayo-beurre-thon à la main, une cannette de bière dans l’autre et tout un tas d’infos aussi intéressantes qu’incompréhensibles dans la tête.

J’ai mangé vaguement, j’ai bu rapidement et j’ai tenté de sortir explorer Ballina (Béal an Átha en irlandais) pour ce qui a tourné très vite à Mission Impossible: j’ai été incapable de m’éloigner à plus de 50 mètres de la baraque, de peur de ne pas retrouver mon chemin et de me paumer à tout jamais, condamné ainsi à errer, mort vivant pour l’Éternité.

C’est ainsi que, sans jamais perdre la maison de vue, j’ai découvert l’existence de lieux de réjouissance pas très loin mais que je n’ai jamais trouvé le courage d’y aller.
C’est ainsi que j’ai passé ma toute première soirée en Irlande à regarder un truc bizarre du genre Coronation Street.
C’est ainsi que j’en rigole, dix ans après, en repensant à ma frayeur de cette première fois.

Et, le plus beau, c’est le lendemain: vous savez ce que je suis allé voir ?