Mon fils,
Voici une lettre que je n’avais pas prévu d’écrire, pas prévu de t’écrire. Pourtant, j’en ai besoin, pour extérioriser, pour formaliser, pour essayer de coucher sur le papier quelques mots.
Il y a peu, nous avons fêté ton premier anniversaire. Un an déjà que tu es parmi nous et que tu grandis, jour après jour, mois après mois. Même si je te l’ai déjà dit, je le répète, encore et encore : tu es la plus belle, la plus extraordinaire chose qui soit arrivée dans ma vie. Depuis que j’ai endossé ce costume de Papa, je suis baigné d’Amour, de Bonheur, de Tendresse. Chaque minute apporte quelque chose chose de nouveau, quelque chose de tendre, quelque chose de beau. Dans tes sourires, tes mimiques, tes gestes, tes regards et tes bêtises, tes pleurs et tes colères, je suis heureux depuis plus de 365 jours.
Pourtant, cette première année a été, autour de toi, l’une des pires qui soit. Je ne vais pas te détailler la litanie sanglante des drames qui ont frappé le Monde et qui le frappe de façon presque quotidienne, à en donner la nausée, jusqu’à ne plus en pouvoir et à vouloir tout fermer, tout couper pour mieux se replier sur soi.
Alors, lorsque je sens que mon humanité défaille, que je suis débordé par l’horreur, la lassitude, la fatigue, le dégoût… Je te regarde, toi ce Bébé qui va hériter demain de ce monde, comme le dit l’adage consacré. Je te regarde et je souris devant cette vie que tu dévores à pleines dents (huit à ce jour), devant cette vie qui se développe en toi, devant cette vie pleine de découvertes, d’expériences et d’aventures toutes plus folles les unes que les autres. Je pousse un petit soupir de contentement et je me lève pour te prendre dans mes bras et te serrer fort, fort, fort contre mon cœur car, bien plus qu’être mon fils, tu es un Espoir. L’espoir que nous pouvons faire quelque chose, que nous pouvons changer quelque chose : t’entourer d’amour, te donner le meilleur de nous-même, t’élever dans les valeurs essentielles de l’Humanité, te faire découvrir ce qu’il y a de plus beau, de plus fragile et de plus essentiel sur notre Terre. Croire en toi pour croire en nous. Si nous ne pouvons pas changer directement le Monde, peut-être pouvons-nous, indirectement, par ton biais, contribuer à le rendre un tout petit peu meilleur ?
Pourtant, tu n’es pas que cela. Tu es aussi ma Peur, en lettres d’effroi, de terreur. La banalisation lancinante de ces attaques, où qu’elles se déroulent, le spectre terrible des victimes, leur caractère aussi aléatoire que meurtrier font que cela pourrait tout aussi, demain ou après-demain, se passer non loin de nous, non loin de toi. Cela, même si je ne veux pas y penser, je ne peux cependant m’en empêcher, de même que je ne peux m’empêcher de me poser une question, toute simple, toute bête : dans quel monde vas-tu grandir ? Quel héritage moi et ma génération allons-nous te laisser ? Que pouvons-nous faire pour arrêter cette folie meurtrière, ce cancer qui se métastase peu à peu aux quatre coins de notre planète ?
Pendant que je termine de relire ces quelques lignes, je t’observe jouer avec ta grande sœur. Je vous vois complices, heureux, blottis dans les bras l’un de l’autre et riants. Dans un même espace-temps, les compteurs morbides montent toujours plus haut et la société se divise un peu plus à chaque conversation, à chaque tentative d’opposer, de désigner, de dénoncer. Entre ces deux univers, je vais choisir le premier. Je vais tenter de ne pas me laisser gangréner moi aussi, en récitant, de temps à autres, ces quelques mots.
Je ne connaîtrai pas la peur, car la peur tue l’esprit. La peur est la petite mort qui conduit à l’oblitération totale. J’affronterai ma peur. Je lui permettrai de passer sur moi, au travers de moi. Et lorsqu’elle sera passée, je tournerai mon œil intérieur sur son chemin. Et là où elle sera passée, il n’y aura plus rien. Rien que nous : toi et moi.
Mon fils, nous avons une longue route à parcourir ensemble.
Puissions-nous faire les bons choix, prendre les bonnes décisions et ne pas nous tromper.
Avec tout mon amour et ma foi en toi et en l’humanité,
Tendrement,
Ton père