Partout, en tous lieux, dans tous les espaces d’attentions disponibles, le discours est là, présent, profond et impossible à éviter. Le monde est submergé, sans arrêts, en permanence, par un flot ininterrompu de nouvelles plus angoissantes les unes que les autres, en provenance des quatre coins du globe. Nouveaux clusters, nouvelles contaminations, nouveaux décès. Les frontières se ferment en même temps que les esprits peinent à s’ouvrir, les mesures tombent comme un couperet.
Pour certains, le temps est à l’incertitude, à un YOLO de dernière minute. Il faut profiter de la Vie tant qu’elle est présente, s’oublier dans de folles étreintes, faire fi de toute recommandation et exister comme si de rien n’était. D’autres sont exactement dans l’état d’esprit contraire. Courses folles, achats compulsifs et bunkerisation absolue faisant des gestes-barrières une profession de foi de chaque minute.
Entre les deux, il y a les autres. Eux, moi. Tous ceux qui essayent de cerner, de discerner, de comprendre. De se faire une idée, aussi faible soit-elle, de ce qu’il se passe exactement
Entre les deux, il y a les autres. Eux, moi. Tous ceux qui essayent de cerner, de discerner, de comprendre. De se faire une idée, aussi faible soit-elle, de ce qu’il se passe exactement. Il y a ce côté optimiste, cette rengaine que l’on connait si bien, ce petit air susurré et ce refrain bien connu : « ça n’arrive qu’au autres ». Il y aussi cette petite boule au ventre, cette impression d’anormalité, que quelque chose est vraiment est train de se passer, dont nous n’arrivons pas à avoir conscience parce que c’est, simplement, l’inédit d’une première fois.
Sans tomber dans la frayeur permanente, cette anormalité vient quand même frapper à la porte du quotidien, s’instille doucement au rythme de chaque jour. De vague maladie sans gravité venue des confins de l’Asie, le coronavirus est devenue une réalité qui frappe la France de plein fouet, qu’on le veuille ou non. L’ampleur des mesures prises, la régularité de l’augmentation des chiffres – funèbre staccato !, les témoignages qui se succèdent sans répit : oui, le monde change et apparemment, il n’était pas prêt pour cela.
Dès lors, on se rattache à ce que l’on peut, comme une bouée. On cherche le rayon de soleil, la raison d’être, d’espérer, d’y croire. On voit s’effondrer des choses que l’on croyait certaines, on voit les contours d’un monde connu s’effacer doucement. Des discours changent, des volte-face médiatiques improbables s’effectuent. Des chiffres sans queue ni tête sont annoncés, des bâtiments ferment, les écoles sont closes et l’on se retrouve à fuir la foule et à avoir peur, plus pour eux que pour nous.
Comment faire comprendre qu’en ces temps incertains, il vaudrait tellement mieux faire passer l’intérêt général avant l’intérêt particulier ?
Eux, ce sont nos proches : parents, grand-parents, enfants. Les avoir à la maison ne sera pas un souci mais après ? Demain, après-demain et pour les mois à venir ? Eux, ce sont également les autres, ces semi-inconnu.e.s du quotidien, ces têtes croisées le matin, ces silhouettes connues, ces ombres lointaines. Eux, ce sont ces témoignages, ces récits, ces histoires, ces questions. Comment faire comprendre qu’en ces temps incertains, il vaudrait tellement mieux faire passer l’intérêt général avant l’intérêt particulier ? Comment puis-je expliquer à mon père qu’il devrait éviter de trop se mêler à la foule, à son âge ? Comment expliquer que reporter un voyage, une sortie, une fête à plus tard, ce n’est pas succomber, ce n’est pas mortel, ce n’est qu’un choix fait pour les autres plutôt que pour soi ?
En cette période nouvelle où l’on ne sait plus trop quoi et qui lire, la confiance, la solidarité, l’empathie devraient, doivent être ce qui est mis en avant. Puisque l’on ne sait pas où nous allons, prévenons plutôt que guérissons. Il est légitime d’avoir peur, de craindre, d’être effrayé.e.s. Il est normal de vouloir se protéger. Mais être dans l’insouciance la plus absolue, lorsque tous les voyants sont au rouge, ce n’est plus normal. Dès lors, peut-être que toutes les mesures annoncées, tous les efforts demandés ne sont que du vent. Peut-être qu’il n’y pas lieu, pas besoin de les faire, de les subir. Mais, tant qu’il existe la moindre probabilité, la moindre possibilité, le moindre pourcentage que ce soit le contraire, acceptons-le, vivons avec plutôt que contre.
Ces temps que nous allons passer chez nous, on peut en tirer le meilleur comme le pire. Plutôt que le subir, faisons-en un temps d’exception. Apprenons de nouveau à communiquer, à s’enquérir des autres. Lisons, créons, peignons. Discutons avec nos proches comme jamais, laissons libre notre créativité. S’il faut être enfermé.e.s, que cela soit dans un cadre idéal plutôt que carcéral. Les familles normalement séparées par le rythme brut de la journée font devoir ré-apprendre à vivre ensemble, à faire ensemble : quelle occasion inespérée pour échanger, discuter, parler, penser à l’après, au monde de demain !
Ces temps sont ceux de la peur. Acceptons-là, vivons avec, ne la rejetons pas : elle ne sera pas là éternellement
Demain, d’ailleurs, nul ne sait de quoi il sera fait. Mais cette crise ne durera pas toujours. Plus tard, quand tout sera calmé, il sera temps de réfléchir, de penser, de faire en sorte que cela ne puisse suivre le même chemin, le même tracé. Des leçons seront probablement tirées, des enseignements payés chers institués.
D’ici là, c’est à nous de jouer le jeu, de ne rien favoriser. De n’avoir aucun malade, aucune mort sur notre conscience. Ces temps sont ceux de la peur. Acceptons-là, vivons avec, ne la rejetons pas : elle ne sera pas là éternellement. Puissions-nous simplement, quand tout sera fini, pouvoir dire, en toute lucidité et honnêteté, que nous avons fait, à notre échelle et avec nos moyens, ce que nous pouvions et devions faire.