Sous le lys et l’érable

Je me souviens… de l’arrivée à la douane et de la douanière me demandant combien j’avais de cigarettes dans mon sac. Deux cartouches ? C’est correct me dit-elle, me laissant entrer au pays de la feuille d’érable et de l’accent chantant, avec mon groupe d’ados accroché aux basques et un bus scolaire jaune nous attendant pour nous trimbaler aux quatre coins du Québec.

Je me souviens… de mes premiers pas dans Montréal et de ma seconde découverte d’une métropole nord-américaine. Je me souviens avoir ouvert de grands yeux devant le reflet d’une église dans un gratte-ciel, d’avoir couru partout avec Kali, ma collègue, pour trouver un endroit où atterrir avec nos jeunes et avoir fini par nous retrouver à « La belle province ». 

Je me souviens… d’avoir regardé le spectacle des feux d’artifices dans le ciel québécois, assis devant une station-service et en sachant qu’il nous faudrait marcher une heure pour rentrer au camping après. Je me souviens des déclics des appareils-photos, d’une énigme racontée en groupe sur ce même chemin et de la sensation que tout était parfait dans cette province.

Je me souviens… des chutes de Montmorency, d’un escalier qui longe l’eau tombante et l’impression d’être dans un paradis originel, où tout serait beau et neuf. Je me souviens d’une photo de groupe au pied de ces chutes, revues plus tard, quelques années après, enneigées

Je me souviens… de me première poutine, sur les hauteurs de Tadoussac, après avoir gravi une grande et longue côte. Je me souviens avoir nourri mon groupe de dix-huit jeunes avec autant de poutines, avoir eu une réduction et la sensation de faire un vrai repas québécois, tout comme le font les locaux.

Je me souviens… de mes premières baleines, sur le Saint-Laurent. Des cris de joie, des doigts pointés, une retombée en enfance devant ces grosses bestioles. Je m’entends encore hurler, fous parmi les autres et ne pas croire ce que j’avais devant les yeux à ce moment précis.

Je me souviens… du camping de Tadoussac, d’une soirée passée à discuter avec des français installés au Canada en PVT. En PVT ? Oui, en PVT, un truc assez génial et méconnu qui permet de venir passer un an au Canada en toute légalité. Ah oui ? Ah oui. Intéressant, je vais garder l’idée de côté pour plus tard parce qu’on ne sait jamais…

Je me souviens… d’une échappée entre animateurs, tard dans la nuit pour aller boire une bière en cachette, du prix des cigarettes, d’un portefeuille oublié puis retrouvé, des siestes dans le bus tandis que défile le paysage, d’une sortie rapide en canoë, d’avoir acheté du sirop d’érable, un castor en peluche et une grenouille souriante.

Je me souviens… de la réserve faunique de Saint-Maurice, d’une journée aller en canoë, de barrages de castors et de sangsues, de l’arrivée au bout d’un monde, d’une nuit autour d’un feu de camp, bercés par les hurlements des loups au loin et sous le plus beau ciel étoilé du monde.

Je me souviens de l’hôpital de Shawinigan, de cet ado qui fait une réaction allergique au fin fond de la réserve faunique, de ces allers-retours express en canoë, de cette ambulance venue nous chercher, de cet hôpital où preuve d’assurance m’est demandée d’emblée, de ces trois heures d’attente pour s’entendre dire qu’il faut arrêter de fumer, de ce taxi pris au retour qui se trompe de parc, pète un essieu dans le bon parc (essieu réparé avec un lacet par l’ado !), de ces chasseurs qui nous prennent en stop et nous évitent de marcher vingt bornes sous la flotte au cœur de la nuit…

Je me souviens… de cette excursion chez l’Ami qui veut vous du bien (Jean Coutu) pour acheter de quoi faire une fondue savoyarde et faire une surprise à nos jeunes, de ce garde de camping qui vient vérifier que nous ne faisons pas de bruit, d’un castor qui s’enfuit en courant, de l’ombre d’un caribou en bord de route, de l’immensité indécente du Saint-Laurent, de ces échanges merveilleux entre deux québécois à base de « Je vais tanker l’char » et « Pour virer, ce sera correct », qui m’ont fait sourire jusqu’aux oreilles et fait prendre conscience que la France n’avait pas le monopole du français.

Je me souviens aussi… des calculs démentiels pour savoir quel serait le prix des courses avec les taxes, de l’intervention d’une vieille dame à la caisse d’un supermarché pour dire que, oui, ils devaient accepter les chèques de voyage, que c’était comme ça et pas autrement, de ce restaurant à touristes au cœur du Vieux Québec, de la visite du Château de Frontenac, durant laquelle je m’imaginais y dormir un jour (sans savoir que cela finirait par arriver, en mars 2015, où je suis resté en tant qu’intervenant à la CITA, après ma découverte du Nunavik).

Je me souviens… d’un serpent retrouvé sur mon sac à dos et de la réaction du garde avisé de la situation, me répondant que non, il n’y a pas de serpents au Québec, d’un retour matinal après un séjour à New-York, d’une crêperie qui accepte de nous accueillir mais que nous devrons quitter sans avoir mangé après deux heures pour cause d’avion à prendre (mais je vous fais 20% ! avait pourtant dit le patron), d’un malaise très palpable en visitant une réserve huronne.

Je me souviens… des visites matinales des écureuils gourmands et des raides nocturnes des ratons-laveurs gourmands, de la fascination devant les brasseries locales et de la sensation exotique de tenir des dollars pas américains dans la main, de la joie d’une randonnée solitaire matinale et d’avoir cuisiné des haricots au petit-déjeuner.

Je me souviens… d’avoir sauté de joie en apprenant que je partais au Québec, d’avoir souri pendant tout le séjour, d’avoir été triste en repartant, de m’être promis d’y retourner, d’y être retourné, de ne pas y avoir vécu, d’y être passé et repassé. 

Je me souviens… du mois d’août 2007, d’une première fois là-bas.