Un lieu emblématique et quatre histoires différentes de quatre personnes différentes. Entre elles toutes, un seul point commun, majeur, majuscule. Un article que je mijote depuis quelques jours dans ma tête, que je me décide enfin à écrire avec une gestation semblant être arrivée à terme et dont le titre me parait être d’une lucidité simplissime : « Nous sommes TOUS des voyageurs ».
Nous sommes tous des voyageurs
Là où tout se passe.
Paris, un jour de février 2016. Au milieu coule la Seine et dessus voguent les péniches. L’imposante et massive esplanade du Trocadéro continue de remplir son rôle, encadrée par les Musées. En face de tout cela, une vieille dame trône, campée sur quatre pieds de fer. Elle se dresse, majestueuse, dans le panorama parisien depuis plus d’un siècle, incontournable, absolue, iconique, emblème métallique de la Ville Capitale : la Tour Eiffel.
Entre ses jambes, c’est tout un univers qui s’agite au long de la journée. Patrouilles militaires, vendeurs à la sauvette, touristes, parisiens, familles, groupe d’amis : chacun suit son chemin vers ce qu’il est venu chercher, vers ce qu’il doit surveiller, vers ceux qu’ils vont convaincre. Que ce soit pour une poignée de minutes – pour un simple détour ou pour une vie entière, tous sont cependant venus pour UNE chose : elle. Parmi cette foule disparate, quatre individus pris au hasard, capturés dans l’instantané le plus absolu. Quatre profils, quatre vies, quatre expériences, quatre humanités que tout semble séparer. Et pourtant…
Ils sont quatre
Tout d’abord Peter. Il a 24 ans et vient d’un pays-continent situé à l’autre bout du monde. Lassé des kangourous, koala et autres animaux typiques de sa terre natale, il a décidé « d’aller explorer le (vaste) monde en rangeant sa vie dans un sac-à-dos », se transformant instantanément en Backpacker. Il navigue – littéralement – de frontière en frontière sans suivre de chemin préconçu, se contenant de consulter son instinct de temps à autres. Cela faisait longtemps qu’il cherchait à voir la Tour Eiffel « et il n’est pas du tout déçu de son voyage ». Il est heureux d’être là et jette, de temps à autres, un œil amusé aux groupes de quinquagénaires qui s’extasient à voix haute devant le lieu. En son for intérieur, il se promet de ne jamais être un Touriste. Jamais. Son statut de backpacker est trop précieux pour être galvaudé ainsi et c’est fièrement qu’il revendique son choix de vie. Si aujourd’hui est consacré aux visites, demain sera Jour de Fête.« Avant un autre départ, vers un autre port et d’autres aventures ».
Ensuite vient Raymond. Raymond a 57 ans et découvre Paris pour la première fois. C’est dans le cadre d’un voyage organisé – découvert dans la petite agence de voyage de sa petite ville de province – qu’il « monte à la Capitale » (comme il le dit en riant) et vient ainsi s’extasier devant la Tour Eiffel. Il apprécie de pouvoir se déplacer sans avoir à penser à rien, comme « tout est pris en charge depuis le début jusque l’arrivée ». Il prend de nombreuses photos du lieu, « réfléchit à acheter quelques miniatures pour offrir aux collègues restés là-bas » avant de finalement courir rejoindre le reste de son groupe qui l’attend pour passer le tourniquet. En passant, il jette un œil dubitatif « à ce zazou mal habillé qui se trimballe son gros sac à dos pas propre. » Si Raymond ne sait pas encore ce qui est prévu après la visite, il sait par contre que, ce soir, c’est un repas aux Folies Bergères qui l’attend, avant le retour « au pays dès demain ».
Non loin de là, Yuri prend la pose avec ses parents, dents blanches et sourire 4* devant le téléphone accroché tout au bout d’une perche. Sitôt le cliché réalisé, il sera automatique posté sur les réseaux sociaux idoines, histoire de pouvoir partager ce « chouette moment avec tous les followers ». Yuri a 17 ans et c’est son premier voyage en Europe. C’est d’ailleurs aussi la première fois qu’elle quitte son Japon natal. Ses parents ont tenu à lui offrir cette épopée pour la féliciter de ses excellents résultats scolaires. D’autre part, et comme elle le dit timidement, « elle a toujours rêvé de visiter Paris et de voir la Tour Eiffel ». Cependant, Paris n’est qu’une petite escale dans le vaste tour d’Europe qu’elle accomplit et elle n’a que peu de temps à consacrer, au final, à la Capitale. Si elle a pu visiter le Louvre (et voir la Joconde le matin), elle a encore « les Champs-Élysées à voir et un bateau sur la Seine à prendre » avant d’aller vers la Gare d’où elle ira vers la Belgique. En attendant, elle profite de son passage sous la Tour Eiffel pour mitrailler les lieux, en faisant bien attention à rester à côté de ses parents, sans s’approcher des groupes de touristes auxquels elle ne manifeste, dans le meilleur de cas, qu’une indifférence polie.
Arrêté sur son Vélib’ depuis quelques minutes, Frédéric rigole beaucoup devant le ballet incessant qui se déroule devant ses yeux. A 40 ans, cet ingénieur né à Paris apprécie toujours autant de venir prendre quelques minutes de pause dans le quartier. Il aime « suivre les groupes entassés derrière un parapluie », « répondre aux questions des touristes perdus », jouer au photographe pour les couples d’amoureux timides » ou encore « se rappeler sa première fois, tout là-haut, quand il était gosse, qu’il a pleuré à cause du vertige et qu’il n’a plus voulu s’approcher des barrières ». Quand il voyage à l’étranger, Frédéric privilégie le local. Il aime « prendre son temps », « expérimenter de nouvelles choses et de nouvelles approches ». Il se définit, en riant, comme un « oisif baladeur, moitié bobo – moitié routard ». Aux prochaines vacances, il partira surement « pour un citytrip via un low-cost, dormira en BnB et essaiera de trouver un greeter pour visiter la ville ». En tout cas, il jette des regards amusés sur toute cette frénésie, soupirant de nostalgie « en pensant à ces jeunes années » et levant des sourcils interrogateurs devant les groupes « de vieux qui se baladent ».
Là où je veux en venir
Un backpacker persuadé qu’il sait comment voyager.
Un retraité qui voyage en groupe.
Une famille asiatique qui s’organise elle-même.
Un local amusé
Quel point commun peut-on donc trouver en ces quatre profils que tout semble séparer, opposer, diviser ? Quelle est donc cette chose qu’ils possèdent chacun en eux et dont ils ne soupçonnent peut-être pas l’existence ? Cette chose, aussi simple que belle, c’est le goût du voyage. En effet, je suis, ils sont, vous êtes, nous sommes tous des voyageurs.
Que nous soyons touristes en une ville, animateurs de colonie, encadrant d’un groupe de sexagénaires, homme (ou femme) d’affaire en déplacement, expatrié blasé, backpacker, sac-à-dosiste et tout autre, nous partageons le voyage, nous avons cette passion qui nous unit les uns aux autres. Il ne sert à rien de vouloir opposer les conceptions du voyage, de vouloir certifier, classer, départager, ranger, classifier, ordonner, conceptualiser à outrance. Un touriste est un voyageur. Un voyageur est un touriste. Un backpacker peut être un touriste qui s’ignore tout comme un touriste peut être un backpacker d’exception. Raymond vaut autant que Peter qui n’a rien à envier à Yuri qui vaut autant que Frédéric.
A trop chercher à se revendiquer, on se classe, on se casse. On veut être « voyageur et pas touriste ». On ne veut pas arborer cette étiquette niaiseuse de ceux qui ne voyagent pas seule. On met en avant ça, ça et ça, par-dessus ça et ça. Pourquoi ? Dans quel but ? Pour gagner quoi contre qui ?
Voyager, tout simplement.
Il n’y a aucune raison d’être jaloux des autres. Aucune raison d’envier quelqu’un pour ce qu’il est, pour ce qu’il pense être, pour ce qu’il représente. Il est facile de se croire inspirant alors qu’on ne donne que moqueries. Il est facile de se croire anodin alors qu’on influence. Il est aisé d’envier. Il est difficile d’être simplement dans l’acception, pas dans le jugement. Aucune façon de voyager ne peut (ni ne doit) sur-valoir. Aucun mode de voyage n’est mieux qu’un autre, plus valable, plus méritant.
Nous sommes tous des voyageurs.
Tout simplement.
PS : Les personnages décrits dans cet article sont bien sur fictifs, bien qu’ils puissent ressembler à des personnes actuellement existantes. Dans tous les cas de figure, je ne cherche pas à juger mais bel et bien à illustrer. Désolé des éventuels clichés, ils ne sont (probablement) pas (si) volontaires.