Avant, il y a l’espoir, les rêves, les envies. La volonté de tout bien faire, tout le temps, partout. Et puis vient la naissance, les premiers jours. Dans le confort de la maternité, les choses semblent simples, faciles, naturelles. Et puis vient la vie réelle. Les jours qui se transforment en semaines qui se transforment en mois. Les projets d’hier deviennent réalité d’aujourd’hui, confrontés à l’existence et à la « vraie vie ». Du papa fantasmé au papa réel : pourquoi rechercher la perfection est une quête illusoire !
Quand Avant rencontre Maintenant
Je me revois encore lire ces livres, ces manuels du Bon Papa, remplis de conseils (plus ou moins) judicieux. C’était quelques mois avant la naissance de Fils. J’étais rempli de belles et nobles idées qui débordaient de partout. Mon programme était balisé, ma route toute tracée. Je serais un Papa idéal, qui met son enfant au centre de sa vie, consacrant chacune de ses minutes à satisfaire ses besoins, à assurer son bien-être. Lui et moi, pour un tango quotidien des plus endiablés.
Et puis, au fur et à mesure, j’ai pris conscience de l’ampleur de la tâche, du rôle démesuré qu’est celui de Papa. Lorsque ma compagne a repris son travail et que nous avons entamé notre co-existence, j’ai vite saisi une chose essentielle : rien ne se sert de vouloir, il faut déjà pouvoir. Le rythme frénétique d’une cohabitation nouvelle, où tout est à découvrir est certes un terrain de jeux et d’expérimentations fabuleuses mais il est de même un chausse-trappe d’une profondeur abyssale. Les jeunes enfants n’offrent pas le luxe de la patience, du droit à l’erreur. Leur (in)conscience dicte un comportement axé sur l’immédiat, le subit, l’instantané. Jouer, rire, manger, dormir : tout doit se faire sur le moment présent et les notions de « demain », « plus tard » ou encore « tout à l’heure » sont des Terrae Incognitae absolues. Dès lors, pour pouvoir prétendre appliquer toutes les idées prénatales, il faut s’en donner les moyens et, surtout, en avoir l’envie, le goût, la motivation : pouvoir y consacrer l’essentiel de son temps et placer l’enfant au centre des choses, tel un roc inamovible, cible de toutes les pensées.
De la réalité d’un Papa.
Il faut savoir être honnête avec soi-même : des fois, en avoir marre de son enfant est une chose naturelle. A plus d’une reprise, depuis quelques temps, je me surprends à ne plus être présent qu’avant. Sans vivre dans le regret, je me rends compte cependant de la disparition subtile de certaines choses avec lesquelles j’avais l’habitude de vivre : des voyages sur des coups de tête, des projets du jour au lendemain, des journées entières consacrées à une idée subite. J’en viens, parfois, à me dire que la vie d’avant-Lui n’était pas si mal, après tout.
Pourtant, ce ne sont que des pensées fugaces nées d’une certaine lassitude et du constat qu’être Papa rime avec engagement, responsabilités et partage de soi. De plus, ayant choisi de m’occuper de mon Fils, j’ai décidé en toute âme et conscience de mettre de côté – du moins pendant un certain temps – ces choses que je pense perdues alors qu’elles ne sont surement qu’égarées. Malgré tout, et en tout sachant bien que l’entrée dans le système scolaire sera synonyme d’un retour à une relative normalité existentielle, je me trouve moins présent, moins impliqué, plus relatif qu’avant.
Ne cherchez pas à être parfait : soyez simplement vous-même.
Il se trouve, en effet, que j’ai découvert quelque chose de fondamental : il ne sert à rien de vouloir jouer au Papa parfait. La quête de cette perfection, qui n’existe en réalité que dans les yeux des autres, est un piège chronophage, un puits profond dans lequel on peut se noyer à toute vitesse. D’autre part, qu’est-ce que cela peut bien être, un Papa parfait ? Comment définir objectivement cette notion de perfection ? Selon quels critères ? Sur quels avis ? Par qui ? Avec quelle légitimité ? La seule personne à qui vous aurez un jour des comptes à rendre quant à votre paternité n’est autre que votre enfant. Lui seul sera à même de vous dire, un jour, les yeux dans les yeux : « Oui, tu es un bon Père ». En-dehors de lui, personne ne peut vous dire, personne n’est en droit de vous dire quoique ce soit à ce sujet (dans les limites du bon sens, n’est-ce pas).
J’ai donc arrêté de vouloir viser la perfection en permanence et j’ai accepté le fait d’être épanoui dans certains domaines plus d’autres. J’ai découvert que je n’aimais pas cuisiner le midi pour lui, que les activités manuelles salissantes m’agacent et que je suis mille fois plus heureux en sortie à ses côtés que bloqué à la maison à faire de la pâte à modeler. Je n’ai plus aucun remords à le caler cinq minutes devant Petit Ours Brun pour m’offrir un peu de paix et je ne suis plus sur son dos en permanence lorsqu’il se promène dans mon champ de vision au jardin. Je ne change pas sa couche dès qu’il a fait caca , je le laisse mettre le bazar sans agir de suite, il se couche des fois trop tard et se lève souvent trop tôt. J’ai aussi découvert que des chaussettes peuvent se mettre deux jours de suite, qu’on peut manger des cochoncetés quand on sort ensemble la journée, qu’il est fan de fromage(s) et qu’il adore les ravioles. J’assume aussi de m’allonger à côté de lui pour l’aider à s’endormir pour la sieste (et j’en profite pour faire un micro-roupillon), de continuer à appeler des voitures « Babou » et les moutons « Bèh ». J’ai vite abandonné les boites Montessori et je le laisse jouer avec mes voitures : la liste est aussi belle que moche, aussi longue qu’infinie.
Fermer les yeux sur le regard des autres.
Et puis, encore pire que tout, il y a les autres (l’Enfer selon un certain Jean-Paul). Les comparaisons inévitables entre Pères, entre Pairs. Ceux qui font ça, ceux qui font ci, ceux qui sont allés là et qui iront ici. Le concours éternel du mâle Alpha avec les enfants comme outil de comparaison, comme instrument de gloire. Il y va de même pour les rencontres en famille, les critiques glissées doucement sur le ton doucereux de la blague hypocrite, les conseils susurrés par ceux qui sont déjà passés par là. Ces éternels monologues ancrés sur le « Moi je… » et « Moi, si j’étais toi… ». Pris trop à cœur, c’est une blessure à l’âme. Pris avec désinvolture, une injure. Que faire donc ? Ecouter, prendre en compte, noter, réfuter, discuter ?
Pour ma part, j’ai choisi la simplicité. J’ai laissé derrière moi, enfouies profondément, toutes les belles idées. Je me contente d’essayer d’être Père au quotidien, de continuer à le découvrir tous les jours, de continuer à être émerveillé. Je laisse glisser sur moi les jugements du Jardin (le lieu de rencontres sociales) et je souris aimablement aux conseils venus d’un autre âge, d’une autre époque, d’un autre monde. Je revendique désormais fièrement cette imperfection qui fait ma force, qui fait mes faiblesses, qui crée le Papa que je suis et dont, après tout, Fils ne semble pas tant se plaindre !