Il y a quelques temps, lors d’une tournée de routine dans les présentations des nouveaux membres d’un certain forum, j’avais repéré celle, ô combien étrange, d’un jeune français habitant quelque part au fin fond du Canada, dans des latitudes réellement inhospitalières: Tuktoyaktuk.
Après une courte recherche, je suis tombé sur le blog de cet aventurier polaire. Séduit par le contenu, j’en ai parlé une première fois dans l’article « Pour m’évader » puis j’ai, fort naturellement, pensé à lui pour le cinquième volume de « Paroles de… ».
C’est avec autant de gentillesse que de rapidité qu’il s’est plié au jeu de l’interview.
Je laisse donc maintenant la place à Yohann Cottin, d’Out of France !
« Tuktoyaktuk se vit au jour le jour. Étrangement, je n’ai pas l’impression d’habiter dans un des coins les plus reculés de la planète, au-delà du cercle polaire arctique »
Petite Présentation
Déjà, du classique: mais qui es-tu ?
Je suis Yohann Cottin, en pleine ligne de mire de mes 25 ans ! Ouch ! Déjà ? Bref, originaire d’une vallée en Haute Savoie, dans les Alpes du Nord, j’ai suivi des études de Géographie, non loin de là, au bord du Lac du Bourget – cadre merveilleux, surtout lors des révisions d’avant exam. Par la suite, j’ai pris avantage du programme Erasmus et j’ai vécu un an dans la ville – pas si grise – d’Aberdeen, en Ecosse.
Pourquoi donc quitter la France ?
Lorsque j’étais encore ado, les noms de Banff, Jasper, Machu Pichu, Reykjavik, ou encore Katmandou, résonnaient dans ma tête et m’émerveillaient, sans oser vraiment à faire le premier pas. Ces rêveries ont passé durant un temps mais le hasard des choses ont pris le relais. Entre deux douches à l’écossaise, j’ai suivi mon instinct – peut-être gagné, intérieurement, par les récits de bourlingueur de mon grand-père – et, par là même, une jolie blonde Canadienne, en écrivant les premières pages d’une longue histoire de cœur.
En un peu plus d’un an, s’en est suivie une échappée à travers des villages amérindiens en Guyana, dans quelques îles des Caraïbes – Tobago et Barbados entre autre – puis, le long chemin vers les contrées du Nord s’est terminé à Tuktoyaktuk, petit hameau Inuvialuit, dans les TNO, au Canada. Terminé ? Enfin, pour l’instant.
Quel est ton parcours actuel dans le processus d’immigration ?
Depuis mi-Mars 2012, je suis autorisé sur le sol canadien grâce au non moins méconnu PVT, ou WHV. Ayant un CDD de deux ans, j’ai pu postuler au service d’immigration pour une extension de mon visa qui, je l’espère, me sera accordée. Si tout se passe pour le mieux, je pourrais ensuite demander le fameux RP, une espèce de Saint Graal pour les expatriés.
Le Grand Nord
Pour aller prendre une bière, il faut descendre à Inuvik, à 200 kms de là !
Pourquoi avoir choisi le Canada et, plus précisément Tuktoyatuk ?
Comme je le disais plus haut, je n’ai pas vraiment choisi le Canada. Disons plutôt que le Canada m’ait choisi. héhé ! Tuktoyaktuk ? Que s’est-il vraiment passé ensuite ? Eh bien, comme vous le savez certainement, il est difficile aux jeunes diplômés canadiens, dont ma copine, de trouver un bon job qui leur permettent de rembourser leurs dettes – les frais d’inscriptions à la fac coûte à l’année 7500$. Faites le calcul, un prêt étudiant pour un master s’alourdirait à près de 30,000 €.
L’aventure dans le Grand Nord a l’avantage d’un, de prétendre à un bon poste et de deux, de gagner un encore meilleur salaire. Mais outre le côté financier de la chose, c’est surtout parce que nous aimons vivre de nouvelles expériences et le Grand Nord est un rêve dont tout le monde porte en soi. Une expérience comme celle-ci ouvre de nouvelles perspectives autant professionnelles que personnelles.
Quelle est la vie dans une communauté aussi retirée que celle-ci ?
Tuktoyaktuk se vit au jour le jour. Étrangement, je n’ai pas l’impression d’habiter dans un des coins les plus reculés de la planète, au-delà du cercle polaire arctique. Mais l’été, lorsque la glace disparaît, de nombreux voiliers passent à Tuk, alors en route vers le passage du Nord-Ouest. Cela devient même une activité à part entière de savoir de quel endroit les navigateurs proviennent. J’ai rencontré un équipage québécois, puis français. Vous n’imaginez même pas le bonheur que c’est que de voir un drapeau français flotter dans le port de Tuk !
Côté pratique, la vie est deux à trois fois plus chère qu’en temps normal. Tuk ne dispose pas de cinéma, ni de bar ou de restaurant. Il y a deux magasins, une poste, la gendarmerie locale et même une caserne de pompiers. Pour aller prendre une bière, il faut descendre à Inuvik, à 200 kms de là !
Qu’y fais-tu ?
Jusqu’à présent, j’ai effectué des petits boulots – gardien de prison, agent d’entretien au Northern Store, enquêteur pour le gouvernement – avant d’obtenir un contrat de conseiller pédagogique dans un centre d’enseignement par internet dédié aux jeunes Inuits qui souhaitent repasser leur Bac. Côté loisir, on essaye de profiter des animations proposés dans le hameau – hockey sur glace, base-ball, volley, Bingo – mais aussi des activités plus traditionnelles telle que la pêche sous la glace. Concernant la chasse, elle est plutôt réservée aux locaux pour des raisons d’éthiques. Sinon, on prend le temps. Et rien que ça, c’est un régal !
Comment as-tu été accueilli par la population ?
Dans l’ensemble, plutôt bien ! Il existe toujours une légère méfiance – qui est à replacer dans un contexte politico-historique – envers les « Blancs ». D’une manière générale, les Inuits sont timides mais ils sont tout aussi intrigués de savoir d’où nous venons et ce que nous faisons ici. Si nous savons être à leur écoute, ils rendent amplement la pareille. Une autre chose que j’ai pu remarquer est leur susceptibilité, mais cela est dû à l’environnement, je crois. On devient tous un peu plus susceptibles du fait de vivre ici. Alors, il faut savoir être patient.
N’est-ce pas trop dur de vivre la nuit polaire ?
Pour être honnête, nous ne l’avons pas complètement vécu puisque nous étions repartis en France durant les deux mois où la nuit est la plus longue. Lorsque nous sommes revenus en janvier dernier, il y avait 2 à 3 heures de soleil par jour mais on a su rapidement s’acclimater. Par contre, ce qui est le plus dur, selon moi, est la transition, entre les 24 heures de soleil l’été et la nuit polaire, qui est très rapide. En somme, nous perdions une heure de soleil par semaine, et là, côté fatigue, on sentait la différence !
Comment survivre aux hivers ?
Forcément par -35°C, il faut se couvrir ! A chaque fois qu’on doit sortir – aller au boulot, faire ses courses, se promener – on passe cinq minutes à s’habiller. Rien ne doit être laissé au hasard. La semaine dernière, il y avait un avis d’extrême windchill où le ressenti pouvait atteindre -51°C. A cette température, il y a risque de gelures en moins de cinq minutes sur une peau à découvert. Alors, il faut prendre cela très au sérieux ! Nous avons connu un « petit » blizzard en novembre dernier. L’activité économique du village a dû s’arrêter pendant un jour ou deux et à nous de penser à faire les réserves à l’avance !
La route des glaces, tu as déjà prise ?
Oui ! Ce fut d’ailleurs lors de notre première arrivée à Tuktoyaktuk, en avril dernier. Ensuite, j’ai pu conduire dessus trois fois durant ces deux derniers mois. Une très belle expérience qui offre la possibilité de voir la nature sauvage – lynx arctique, renard arctique, caribou, renne. L’Ice-Road, ainsi appelé, qui relie Inuvik à Tuktoyaktuk sur près de 200 km, se conduit drôlement bien. La majorité du périple est une longue ligne droite mais qui sait parfois surprendre par des virages à angle droit. Une fois, après avoir roulé sur la route pendant 150 km, l’air de rien, nous nous sommes arrêtés pour voir à travers la glace et, soudainement, nous avons comme été pris de vertige. Le but est de ne pas penser que nous sommes au-dessus de l’océan séparé par une couche de 30cm de glace.
Le blog
Internet est notre échappatoire pour savoir ce qui se passe dans le Sud. Sans cela, on se sentirait vraiment paumés !
Pourquoi avoir ouvert un blog ?
Lorsque j’étais en Guyana, j’écrivais de longs mails à ma famille et à mes amis pour leur faire découvrir ce que je vivais. L’idée de faire un blog ne m’avait pas effleuré l’esprit ! Par la suite, j’ai réalisé que les lieux que je visitais étaient peu connus du monde touristique, qu’ils pouvaient intéresser des personnes et pouvaient être amenés à être plus valorisés. Et, avec de bons retours et des encouragements, j’ai décidé d’essayer d’atteindre un plus large public en créant Out of France.
Tes textes sont vraiment superbes. Comment conçois-tu leur écriture ?
Merci du compliment ! Ça me touche beaucoup ! L’aspect des articles a évolué au cours du temps. J’effectuais pas mal de recherche à côté pour m’assurer que ce que je raconte est vrai, bien sûr, mais aussi pour qu’ils soient assez complets et détaillés. Maintenant, disons que j’y vais un peu au feeling ! Peut-être une certaine fainéantise aurait pris le dessus.
Tu sembles être partisan d’un design minimaliste. Pourquoi ce choix ?
Au départ, j’écrivais d’assez longs articles mais, avec du recul, j’ai eu peur que les internautes s’ennuient et ne prennent pas le temps d’aller jusqu’au bout. Je sais que la toile regorge d’articles éloquents sur des thèmes et des sujets très très variés. Il y a un choix énorme seulement dans le monde du voyage. Etant de nature assez discrète, j’ai voulu par la suite introduire des petits clins d’œil, des histoires courtes, de ce que je vois, de ce qui me touche, en une sorte de signature personnelle et singulière. Et que cela prenne tout au plus cinq minutes au visiteur.
Pourquoi WordPress au fait ?
WordPress est vraiment top ! Il permet d’avoir un visuel à la fois propre, concis et à la fois très simple d’utilisation. Personnellement, je n’y connais pas grand-chose aux flux et au codage. Pour le coup, ça m’aide énormément.
Question stupide: l’internet à Tuk, c’est comment ?
Pas si stupide que ça ! On a effectivement accès à internet haut débit et même au 2G – le 3G viendra un peu plus tard (Comment ça le 4G est déjà sorti ?). Bref, le seul petit hic est que nous sommes limités à 15GB par mois. Internet est notre échappatoire pour savoir ce qui se passe dans le Sud. Sans cela, on se sentirait vraiment paumés !
Pour conclure
Le mot de la fin ?
Un projet de highway « toute saison » reliant Inuvik à Tuktoyaktuk, et vieux de 40 ans, est ressorti des tiroirs. Si le projet est accordé, la route sera construite durant les trois prochaines années. Tuktoyaktuk, qui voit sa population décroitre d’année en année, deviendra bien plus accessible et ouvrira sans aucun doute de nouvelles perspectives économiques. De plus, situé sur la mer de Beaufort, peut être le hameau deviendra port maritime d’influence majeure par l’ouverture de nouvelles voies maritimes dans l’Océan Arctique, par le passage du Nord-Ouest. Quoi qu’il en soit, Tuk ne cesse d’être bouleversé, et ce, depuis 40 ans. Et demain nous réserve encore de bonnes surprises. En ce sens, il est intéressant d’être physiquement au premier plan et de voir comment tout cela sera finalement dirigé.
Vous pouvez retrouver les aventures de Yohann également sur Twitter: Out of France.
Des photos sont également disponibles sur son blog: Photos de Tuk