Des cartes postales

C’était comment le voyage, avant ?

Il n’y a pas si longtemps que ça, au détour d’une publication sur LinkedIn, j’ai écrit un constat très simple: mon fils, à 8 ans et demi, a plus voyagé que moi à 18 ans. Partir entre ici et là est pour lui quasiment une habitude et c’est l’absence de voyage qui est en réalité quelque chose d’anormal. En mettant cela à l’aune de ma propre expérience, me voici donc à répondre à une question que je sais inévitable : raconter le voyage « avant » !

Voyager au vingtième siècle : récit d’antan et de jadis

Enfant des années 80, j’ai eu la chance de voyager, grâce à mes parents, en France et en Europe, très essentiellement en train et en voiture. Pour contextualiser, j’ai pris l’avion pour la première fois qu’aux alentours de 1996. J’ai acheté seul mon premier billet aérien en 2004 et j’ai attendu 2006 pour aller ailleurs qu’en Europe. Se déplacer ainsi a été pendant très longtemps une exception (et est en fait revenue quasiment à cet été depuis le COVID).

Mais donc, les années 80, antan et jadis. Vraiment, antan et jadis ? Oui car, dans le domaine du voyage, c’est entre cette époque et maintenant, le jour et la nuit. Deux faces d’une même pièce autant opposées que possible. Et comment illustrer cet écart abyssal? En racontant, concrètement. Et en prenant l’exemple d’un voyage banal, à destination d’une ville.

Des cartes postales

Organiser une escapade urbaine, genre citytrip

Partir découvrir une nouvelle ville, organiser « juste » un court séjour en France ou dans un pays frontalier : 2024 vs les 80’s !

Version 2024

Aller sur Internet depuis un ordinateur ou son téléphone. Utiliser un moteur de recherche dédié pour regarder les hébergements et activités possibles. Vérifier les avis sur les sites servant à vérifier les avis. Comparer, choisir et réserver en ligne. Pour le transport, acheter son billet de train en trois clics. Ou prévoir son itinéraire motorisé avec le GPS. Simple, facile et évident.

Version 1994

Se déplacer à l’office de tourisme pour prendre de la documentation sur la ville, le département, la région, le pays. Répertorier les hébergements disponibles et les contacter un par un, par téléphone ou courriel, pour connaitre les tarifs et disponibilités. Acheter un guide de voyage récent pour connaitre les recommandations. Se rendre à la gare la plus proche de chez soi pour se renseigner sur les tarifs, horaires et correspondances à prendre. Ou acheter une carte routière et repérer bien en avance les routes à emprunter. Anticipation, préparation et minutie.

Réflexions passagères et voyageuses

Quand je repense à ces voyages enfantins et adolescents entre France, Allemagne, Suisse et Autriche, j’essaye d’imaginer la dose de préparation que cela demandait à mon Paternel de Papa. Parce que trimballer sa descendance de camping en camping pendant quasiment trois semaines en août, il fallait vraiment le vouloir. En avoir envie. Et avoir les capacités d’organiser donc tout cela bien, bien en amont pour ne laisser quasiment aucune place à l’organisation une fois sur place. D’ailleurs, quand je repense à ces escapades hexagonales, entre les plages du Débarquement et le pays du Grand Meaulnes (17/20 à l’exposé qui a suivi), je me rends compte qu’elles étaient balisées avec une précision réellement remarquable, à une époque où l’accès à l’information était bien, bien, bien moins aisé que maintenant.

Instantanés du siècle passé

Le chargement de la voiture, façon Tetris IRL, où chaque chose a une place et où il y a une place pour chaque chose. L’odeur du parking. La découverte miraculeuse du médoc’ qui a arrêté de me faire vomir à chaque voyage. Fun Radio, la seule radio qui pouvait être écoutée quand j’étais devant. Les heures qui s’étirent façon infinie le jour du retour entre Annecy et Paris et les réponses lapidaires du Papa aux questions de « quand est-ce qu’on arrive ? ». La découverte d’un nouveau camping et le repérage des espaces de jeux. La table pliante, le gonflage des matelas à la pompe et le plantage des sardines. Les bolinos. Le train de nuit pour aller au ski avec Papa. Le train de jour pour aller à Dinard avec Maman. Les retrouvailles avec le copain à Saint Malo, les foots sur la plage et les sardines grillées au barbecue le soir. Les balades le long de la mer. La coupe du monde 94 sur une télé louée et Denis la Malice au cinéma. Trouville et un studio sorti d’on ne sait où. Le goût de ma première sole. Porspoder et son village vacance. Les Karellis, hiver comme été. Annecy, Annecy, Annecy.

Entre hier et aujourd'hui

De nouvelles réflexions voyageuses (et nostalgiques)

Suis-je nostalgique de cette époque, de ces années 90 ? Un peu, beaucoup, passionnément et pas du tout. Et cela à la fois.

Je suis heureux que le voyage se soit réellement démocratisé. Qu’il ne soit plus quelque chose d’inaccessible pour beaucoup. Que les enfants s’ouvrent ainsi au monde, aux autres et se confrontent à d’autres façons de vivre, d’autres cultures. C’est comme cela que s’enseignent le respect, la confiance en soi, l’échange et le goût de la découverte. En allant vers ce qui est différent, pas en se plongeant dans un moule où tout est uniforme, identique et identitaire. C’est formidable de pouvoir partir en PVT et d’explorer ainsi le monde.

Je suis triste cependant d’avoir vu se fermer les gares et guichets. De voir s’étioler les contacts humains et de faire face à plus d’écrans que de visages. De me rendre compte que le voyage est devenu un réel luxe financier dès lors qu’on envisage certaines activités, certains endroits. De constater que les prix du train s’envolent vers des hauteurs improbables et que cela me coûte presque moins cher d’aller en Jordanie qu’à Nancy ou Gueugnon. De me faire divulgâcher certains endroits par des publications sociales.

Et je ne sais pas encore quelles leçons, quels enseignements tirer de la façon dont Internet et les réseaux sociaux ont modifié – en profondeur et pour toujours – le voyage.

Ce que j’ai connu et qui n’arrivera (normalement) plus

Avoir besoin d’une carte d’identité pour passer une frontière routière en Europe. L’URSS et la RDA. Une monnaie différente par pays traversé en Europe de l’Ouest : lire, deutschemark, pesetas et autres francs belges et suisses. Voire même schillings autrichiens. Chercher une cabine téléphonique pour joindre quelqu’un à Vienne et m’assurer d’avoir la monnaie nécessaire pour passer ledit appel. L’incompréhension linguistique absolue. Dormir dans un camping à côté d’une voie ferré au trafic très, très bruyant. Mettre la batterie de la voiture à plat après avoir trop écouté Eugène Saccomano parler des transferts du PSG. Abandonner le journal de Mickey et France Football une fois la France quittée et n’avoir que Science et Vie à lire (sans tout comprendre). Se limiter sur les photos pour ne pas vider la pellicule en une journée. Prêter ma gameboy. Slalomer entre les limaces pour aller, de nuit, aux sanitaires du camping.

La carte et la boussole

Instantanés d’antan, Vol.2

L’été 98, avec des étoiles dans les yeux et une autre sur le maillot, une main serrant une autre main au bout de la dernière nuit, au coeur de la fumée et des stroboscopes. Tourner dans Dinard, encore et encore, pour trouver une télé à louer, ce que fait l’hôtel où nous résidons. Masevaux et son camping. L’Alsace. Le Roc Noir et Saint François de Longchamp. Praz-sur-Arly. La porte du compartiment qui coulisse et ma première nuit dans un train. Le virage tortueux du parking d’où il fallait sortir dans le 14ème arrondissement. Ma mère au volant, coincée derrière un camion. Mon émerveillement en prenant l’avion pour la première fois, direction Monaco et Nice. La Normandie en 94. Bourges en ayant été malade toute la nuit. Reims, encore et encore : le pendant maternel du Annecy paternel. Ecrire des cartes postales. Les collectionner et les garder dans des boîtes. Joie d’en recevoir et plaisir d’en envoyer.

Et donc, c’était comment le voyage avant ?

En fait, est-ce que le voyage était vraiment si différent, avant ? On allait, comme maintenant, d’un point A vers un point B avant d’explorer les alentours de B. Puis de changer de lieu. Peut-être qu’il y avait plus de surprises, de découvertes. D’anticipation et d’appréhension aussi. Que le fait d’avoir moins d’informations à propos de certains lieux faisait travailler l’imagination. Ou alors, au contraire, peut-être que nous allions tous dans les même endroits, ignorant des merveilles qui n’étaient indiquées nulle part et n’étaient connues (et jalousement gardées) que des locaux.

Papy profite pour préparer l'itinéraire

Ebauche d’une conclusion (guère concluante)

Non, le voyage n’était pas si différent en soi au vingtième siècle. Disons plutôt que c’est la façon de voyager qui a changé, passant de quelque chose de plus ou moins exceptionnel à quelque chose de plus ou moins normal. Pour autant, certaines choses ne changeront jamais. Comme le rapport de mon père aux GPS et son goût pour les vieilles cartes papiers, pliées et repliées !

  1. J’aime bien cette réflexion…
    Figure-toi que le voyage version 1994, je n’en étais pas si loin jusqu’en 2018 car à ce moment là je n’avais encore JAMAIS eu de Smartphone, je me débrouillais sans. J’avais mon guide papier (habitude que j’ai toujours gardée, le guide papier + les carnets de voyage rédigés à la main) j’allais dans des cyber-cafés pour aller chercher des informations et donner des nouvelles à ma famille lorsque je voyageais seule…

    Aujourd’hui le contraste est énorme j’en ai bien conscience, je suis beaucoup trop connectée (la limite est ténue entre outil de travail et outil d’aliénation parfois ) mais je suis contente d’avoir connue ces deux facettes du voyage, ça me permet de garder les pieds sur terre et bien souvent lors des voyages perso, de lâcher prise.

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