Let my Son Shine in
C’est un matin comme tant d’autres. Il a dormi de son sommeil d’enfant, s’est relevé, recouché, tout en serrant fort contre lui son Doudou préféré du moment. Tout d’un coup, il a surgi hors de la chambre, avec ses petits yeux embués, sa petite main levée dans les airs et son éternel sourire qui ravage les cœurs et réchauffe les âmes. Pas encore préoccupé par les mille et uns aléas de la vie, il m’a immédiatement parlé des dinosaures de son pyjama, de sa nuit et des blagues de sa grande sœur. Une nouvelle journée dans son existence enfantine, une nouvelle journée sur mon chemin paternel et quelques nouvelles lignes à écrire à deux : l’occasion parfaite pour me retourner sur les trois dernières années.
Voyager, tout simplement
Dès que j’ai su que j’allais être papa, je me suis vu faire quelque chose : voyager avec mon fils. Certains caressent d’autres rêves, plus personnels, plus intimes. Les miens étaient et sont toujours simples : montrer ce monde à mon fils, lui faire découvrir ses richesses, ses secrets. Comme je ne voulais pas que mon existence personnelle soit supplantée par les obligations paternelles, avec le Cédric s’effaçant derrière le Père, j’ai donc décidé d’une chose essentielle, primordiale : l’arrivée d’un nouvel enfant au sein de notre famille ne pouvait pas, ne devait pas, ne saurait être un motif pour ne plus voyager. Et donc, si cela ne pouvait se faire sans lui, cela allait se faire avec lui.
Aujourd’hui à plus de trois ans, Fils a vu plus de choses que moi à dix-huit ans. Il a exploré l’Irlande du Nord et le Donegal. Il a vécu Halloween à Derry et visité ses premiers pubs au fin fond de la campagne. Il a marché à Venise, Berlin et Édimbourg, joué avec les enfants d’ici et là. Il a monté un moulin à vent aux Pays-Bas, des beffrois en Belgique et des tours. Il y a également ces nombreuses escapades hexagonales, de l’Aisne au Pays Basque en passant par le Nord, l’Alsace et les montagnes enneigées de l’Autriche.
Si faire de telles listes constitue un exercice quelque peu égotique, cela permet de confirmer quelque chose : nous aimons voyager ensemble. Je me souviens d’ailleurs des premiers trajets motorisés. Il était terrorisé par tout : les trams, le bus, la voiture. Tout, absolument tout était prétexte à pleurer. C’était le temps des premières confrontations avec le monde extérieur, des premières expériences plongé dans la frénésie de la Capitale, chaudement blotti dans l’écharpe, contre moi. Puis, ses peurs se sont transformées, sont devenues curiosité, amusement. Regarder le paysage défiler dans le train et pousser des cris étranges de temps à autres. Jouer avec Grande Sœur à l’arrière de la voiture tandis que Maman conduit sur les routes irlandaises. Se cacher sous la couverture à l’arrière d’une calèche, quelque part dans la merveilleuse forêt enneigée de la Bluntau, en Autriche. Tant et tant de souvenirs !
Faut-il se souvenir pour voyager ?
Cet été a marqué un changement assez important, totalement imprévu : l’apparition concrète des premiers souvenirs, formulés à voix haute. Je ne sais plus dans quel contexte, à quel moment mais une petite main a du se poser sur mon bras tandis que j’écrivais et une voix s’est élevée pour me demander « Dis Papa, tu te souviens de …… ? ».
Cette question, aussi innocente soit-elle, est un jalon d’une puissance exceptionnelle puisqu’elle marque le passage d’une frontière, celle entre vivre et souvenir. Auparavant, Fils vivait l’instant présent, sans pour autant s’en souvenir (ou, du moins, sans exprimer la présence de ces souvenirs). Désormais, Fils vit l’instant et s’en souvient. De là, il n’y a plus qu’un pas à faire pour extrapoler, se projeter. Tout devient prétexte à se remémorer les voyages et à jouer avec ces souvenirs : des photos, des objets, des chansons. Ainsi, une écharpe Sang et Or nous ramène dans l’ambiance survoltée de Felix Bollaert, une peluche aux biches de l’Aisne et un clocher aux Tours de la Wallonie. Il jongle avec les prénoms, de Pascale à Fabrice en passant par Mitchka, Laurent et Solène, Tia et Guilllaume, Papy et Pépé. La machine à enregistrer est lancée et risque bien de ne plus s’arrêter !
Cette absence – présumée – de souvenirs dans les premières années de la vie est d’ailleurs source de beaucoup d’interrogations relatives au voyage. Cela vaut-il le coup d’emmener des enfants très jeunes en bourlingue alors qu’ils ne vont se rappeler de rien ? Cela est-il judicieux d’allonger plus milliers d’euros (dans certains cas), pour du vent ? Faut-il, plus simplement, voyager avec de très jeunes enfants ?
Ma réponse est simple : OUI, OUI et OUI ! D’une part parce que l’arrivée d’un enfant ne doit pas empêcher les parents (et par extension la famille) de continuer à vivre. D’autre part, un enfant ressent le voyage à sa façon, avec son âme et sa manière d’être. Il faudrait être fou pour croire que tout le laisse indifférent et qu’il ne perçoit pas certaines choses. Bien sur, il faut raison garder et je serais le dernier à vouloir partir en safari, en Sibérie ou dans le désert avec un bébé. Cependant, la différence entre abandon et adaptation est immense et laisse la porte ouverte à des myriades de possibilités. Le monde est assez vaste pour offrir des terrains de jeux et d’expression à tous, y compris aux plus jeunes. De plus, les enfants les plus jeunes ne paient que très peu de frais de transport. L’avion, quand il n’est pas carrément gratuit, ne coûte pas grand chose et il est toujours possible d’embarquer la poussette.
Se construire à plusieurs
Je ne suis pas convaincu qu’il faille des formations, des conseils ou des livres pour voyager seul. Acheter un billet, remplir une valise et embarquer, cela s’apprend de par soi-même et l’expérience de chaque voyage aide à mieux faire, à ne pas renouveler certaines erreurs, certains faux-pas. Pour autant, voyager avec des enfants est quelque chose d’autre, tout simplement. Pour parler simplement, je vais utiliser ma propre expérience : j’ai un vécu personnel assez conséquent concernant le voyage ET le voyage avec les enfants. Pour autant, je n’ai jamais été aussi perdu que lors de nos premières fois, qu’elles furent à quatre ou à deux. La peur était présente comme elle le fut rarement. Peur de mal faire, d’oublier quelque chose, de ne pas savoir. Il a fallu que j’apprenne à prendre le temps, à prendre sur moi-même et à accepter de ne plus être en contrôle absolu. Cela est un processus long et j’ai encore l’impression d’être en formation constante, sans diplôme délivré à la fin. Je me suis même retrouvé à me poser plus de questions pour notre séjour en duo à Lens que lors de mon départ en Nouvelle-Zélande. Avoir quelqu’un d’autre à s’occuper, ne plus être le seul aux manettes, devoir s’adapter, se réadapter et remettre en cause des habitudes prises depuis (presque) toujours : c’est un passage incontournable du voyage avec un enfant. Et si quelqu’un venait à me dire qu’il voyage aujourd’hui avec son enfant comme il voyageait hier tout seul, je ne le croirais pas, à l’aune de mon propre vécu.
Un autre écueil à éviter, un autre récif à contourner, un autre piège où ne pas tomber est de ne pas vouloir à tout prix ce que font les autres. Nous avons tous, dans notre entourage plus ou moins proche, l’exemple de cette famille qui part avec son Bébé sur un voilier en Polynésie, dans un safari au Kruger, au ski dans une station des Alpes. Quelque soit votre envie, votre jalousie, ne cherchez pas à reproduire ce que vous voyez passer devant vous. Dans le voyage en famille, je crois que la clé réside dans le temps et l’apprentissage. Se donner le temps de savoir, de découvrir. Apprendre à vous connaitre, apprendre à le connaitre, apprendre à voyager ensemble, cela ne se fait pas en tour de main.
Depuis notre premier voyage familial à Dijon à notre première épopée à deux, et en attendant notre prochaine escapade nord-américaine à quatre, que de chemin parcouru ensemble ! J’ai du apprendre à écouter, à les écouter, à calmer mes envies. Il a fallu que je repositionne mon curseur et que je ne fonce plus la tête la première vers les premières envies venues. Nos voyages sont désormais mieux préparés, plus anticipés, plus adaptés, tout simplement. Je consulte ma belle #DeT à propos d’iceux et nous discutons, nous quatre, de nos envies respectives, de nos rêves, de nos attentes éventuelles. Je m’enquiers de ce qui est faisable en fonction des impératifs scolaires et professionnels de ma famille et nous construisons à huit mains et quatre cerveaux.
Et nous deux ?
Cet été, nous avons strié la France avec nos voyages hexagonaux. De Paris à la Bretagne, de la Bretagne au Perche, du Perche à l’Alsace, de l’Alsace au nord, du Nord aux Alpes, des Alpes à Agde. De tous ces voyages, quelques uns furent des tête à tête avec mon Fils. Comme le dit si justement la Litanie de Dune, j’ai vaincu ma peur et mes démons.
Je ne connaîtrai pas la peur, car la peur tue l'esprit. La peur est la petite mort qui conduit à l'oblitération totale. J'affronterai ma peur. Je lui permettrai de passer sur moi, au travers de moi. Et lorsqu'elle sera passée, je tournerai mon œil intérieur sur son chemin. Et là où elle sera passée, il n'y aura plus rien. Rien que moi.
Litanie contre la peur du rituel Bene Gesserit.
Dune (1965), Frank Herbert
Le voyage lensois a été, en quelque sorte, le mythe fondateur. Pendant ces trois journées, je me suis confronté à mes hantises, j’ai plongé dans le grand bain depuis le plus haut plongeoir, j’ai franchi l’abîme sans corde de sûreté et tout ça pour me rendre compte que le voyage avec mon Fils était bonheur. Du coup, l’expérience a été très vite renouvelée : sur un coup de tête, en Alsace, sur une envie, à Agde. Hier et aujourd’hui, en France. Demain, en Europe. Et après-demain, dans le Monde ?
En tout cas, grâce à mon Fils, j’ai appris beaucoup de choses sur le voyage. Parmi celles-ci, en voici quelques unes dont je suis certain de la valeur :
- Un enfant n’appelle pas toujours à la bienveillance. Il peut être source d’agacements, de reproches, de regards biaisés et de refus. Il faut le savoir et ne pas croire qu’un sourire désarme tous les conflits. Ce n’est malheureusement pas toujours vrai.
- De même que tout le monde n’aime pas les enfants, tout le monde ne souhaite pas être parent. On peut adorer les enfants et ne pas souhaiter en avoir : c’est un choix à respecter et une discussion à ne pas forcément aborder.
- Il faut toujours écouter les enfants et demander leur avis. S’ils font partie du voyage, ils doivent être partie prenante d’icelui pour le vivre et ne pas le subir.
- Les enfants n’ont pas besoin de mots pour communiquer : c’est un exemple à suivre dans les relations humaines. Un regard, une gestuelle, une moue peuvent exprimer bien et bien des choses.
- Les règles sont faites pour être brisées et les tentations existent pour être saisies. Cela vaut pour l’heure du coucher, les glaces à la fraise et les poutines
- Une visite guidée pour adulte ne vaut rien pour les enfants et il ne faut pas se vexer s’ils ne présentent pas le moindre signe d’intérêt. Il fallait y penser avant.
- Les grands ont aussi le droit de s’amuser dans les musées pour les petits. C’est même très fortement recommandé.
- Un planning se fait en fonction des enfants et non pas malgré eux.
- Il faut toujours prévoir un sas de décompression au sortir d’un long voyage : jardin, parc (ou ce que vous voulez).
- On ne prend jamais un enfant en photo sans demander. Jamais.
- Espérer le meilleur et prévoir le pire. Toujours.
Ce qui est également essentiel, dans notre relation, est ma position professionnelle vis-à-vis de lui. Je me suis déjà exprimé longuement sur mon refus de voir son visage apparaître. Je m’interroge désormais sur la légitimité que j’ai à parler de nous. Ecrire est mon métier et voyager est ma passion. Pour autant, ai-je le droit de raconter ce que nous vivons à deux ? C’est pour cela que je ne dis pas tout, que je conserve soigneusement des zones d’ombres et que je laisse certaines choses privées, qui ne regardent que nous. Que chacun fasse ce qu’il veut mais rappelez-vous que nous devrons rendre des comptes à nos enfants, un jour et que l’oubli est difficile, compliqué (voire même impossible) sur Internet.
Enfin, n’oubliez pas ceci : ce n’est pas parce que vous êtes devenus parent(s) que vous devez vous effacer derrière votre enfant. S’offrir du temps et des voyages à soi est la meilleure façon de savourer les voyages familiaux !