Chère ville de Paris,
Cela faisait bien longtemps que je ne t’avais pas écrit une lettre. Te souviens-tu de nos derniers échanges ? Je te disais, un jour de 2011, avant de partir en Nouvelle-Zélande, que c’était fini. Puis, les aléas de ma vie ont fait que je suis revenu. Pour le meilleur (souvent) et le pire (parfois). Du coup, depuis que je me suis reconverti dans cette existence de digital-sédentaire et que la paternité est venue frapper à ma porte, je te regarde d’un autre œil. Plus acéré, plus analytique, moins amoureux, moins passionné. Je te tente de te comprendre, tout en me grattant la tête de dépit. Je tente de justifier cet amour présumé aux yeux des autres, sans pour autant réussir à me convaincre moi-même. Je tente de me projeter dans un futur avec toi, sans pour autant réussir à tracer un quelconque chemin.
Alors, je m’interroge. Pourquoi ? Qu’est-ce qui fait que j’imagine ma vie ici, avec toi, envers et malgré tout ? Pourquoi ne pas refaire, une fois de plus, ce que j’ai déjà fait des dizaines de fois, me barrer en te laissant derrière ? Je te vois changer, je te vois muer, je te vois essayer de très belles choses et en réaliser de franchement horribles. Lorsque mes enfants toussent, lors de pics de pollutions, je pense que tu vas nous projeter un Drôle de Tram au lieu de faire défiler Arsenic et Vieilles Dentelles. J’aime ton combat pour laisser libres ces berges que nous apprenons à aimer et j’enrage en imaginant un retour des voitures sur icelles.
Lorsque que tu te vides, l’espace d’un été, je n’aime rien de plus que de partir sur un coup de tête avec mon Fils et de passer la journée à errer, sans plans ni idées, en nous laissant guider par nos rêveries piétonnes. Nous marchons de pont en pont, de jardins en jardins, à la recherche de musées méconnus, de trésors insoupçonnés et de portes cochères qui ne demandant qu’à être poussées. Ce sont des moments rares et précieux qui permettent de cultiver cet amour, d’entretenir notre relation, de faire fi des ombrages passés et de réécrire des nouvelles pages de notre histoire, débutée en octobre 1981. De même, je n’aime rien de plus que de refouler des quartiers, des chemins déjà parcourus des centaines de fois. Il m’arrive souvent de lever les yeux et de découvrir de nouvelles choses : une plaque passée inaperçue, le détail d’une façade, une cour ombragée. Je me rends compte, à ces moments-là, de la chance exceptionnelle que j’ai de pouvoir habiter chez toi, entouré par ce patrimoine d’exception. J’en viens même, souvent, à regretter de te connaitre si bien et à ne pas pouvoir te découvrir comme un touriste.
Sache pourtant que tout n’est pas rose et que si Chimène a pour Rodrigue les yeux de l’Amour, j’ai plutôt pour toi les yeux embués, mi-fermés, scrutateurs. Quand je tente de te regarder objectivement, je suis effrayé par certaines choses que je vois, que je devine se dessiner au loin : les prix délirants de tes loyers, ta gestion des flots humains, la disparition des sourires et de certains commerces. Je sais bien que tu n’es pas responsable de tout et que tu dois parfois faire avec des paramètres dont je n’ai pas connaissance. Je sais bien qu’il est aussi difficile – voire même impossible – de vouloir contenter tout le monde. Mais, franchement, ne pourrions-nous pas faire un effort et réfléchir sur du long terme, pour les autres ? La gratuité des transports, une piétonnisation intégrale de certains secteurs, l’ouverture de nouveaux parcs et espaces verts et la volonté globale de rendre la Ville meilleure pour tous seraient des avancées exemplaires saluées dans le monde entier.
Mais tu vois, Paris, par exemple, je me demande vraiment si tu as bien fait de demander l’organisation des Jeux Olympiques, en dépit de toutes tes assurances et de nos échanges. Parce que j’ai déjà connu de tels événements ici (une Coupe du Monde, un Championnat d’Europe de football…), je sais qu’il est difficile d’y accéder, même pour un local. J’ai aussi des doutes sur le prix et sur les répercussions financières que nous aurons, nous parisiens, à assumer. Je ne doute pas que ce soit une occasion en or de t’exposer à la planète entière mais je ne peux m’empêcher de me dire que ce n’est peut-être pas, malgré tout, une si bonne idée et que le budget qui va être dégagé pour cela aurait peut-être pu être consacré à autre chose, plus directement, avec plus d’impact concret pour nous qui vivons ici.
Bref, Paris ma belle, Paris ma moche. L’hiver s’en va doucement et après ces moments où je t’ai observé parée de ton manteau blanc, plus belle que jamais, je vais désormais attendre patiemment de voir vers où notre promenade commune va nous emmener, toi et moi. Je vais continuer à avoir, envers toi, cette tendresse où se mêlent méfiance et dégoût, amour et passion, de celle qu’on réserve aux êtres chers. D’autres journées viendront qui seront belles et pleines de promesses. Il y en aura aussi des sombres, des moches, qui me donneront envie de fuir vite, très vite, vers d’autres contrées où l’herbe est supposée moins chiche et plus verte.
En attendant tout cela (et bien plus encore), je te laisse et je te souhaite le meilleur, en espérant avoir très vite de tes nouvelles.
Bien à toi,
Cédric