Si vous avez déjà pris le métro dans un pays anglophone, vous n’avez pu passer à côté de cette petite phrase sibylline, prononcée à des fins autant préventives que sécuritaires : « Please, mind the gap between the train and the platform ». Pour ceux d’entre vous qui ne maîtrisent point la langue de Shakespeare, une traduction adéquate pourrait être : « Faites bien attention à ne pas vous casser la gueule en descendant du métro, il y a comme qui dirait un espace assez conséquent entre icelui et le quai et, du coup, vous feriez bien de regarder où vous mettez le pied avant de foncer la tête la première vers votre correspondance ». Pour autant, et ceci étant désormais clarifié, ce n’est pas cette traduction qui me hante depuis quelques jours, c’est plutôt le sens beaucoup plus profond de cette formule, que je trouve en effet assez remarquable si l’on prend le temps de s’y intéresser de plus près.
« Mind the gap between the train and the station » est un donc un avertissement assez universel, visant à prévenir d’un souci potentiel. En extrapolant totalement ceci et en le mettant dans un contexte absolument différent, je trouve matière à de nombreuses inspirations :
En rêver est une chose, en vivre en est une autre.
Regardons par exemple un mode de vie très tendance, très onirique, très couru et qui déclenche un phénomène pavlovien de salivation à seule évocation : le Nomadisme Digital. Voyager partout, travailler sans bureau fixe, avec une simple connexion internet et, dans la mesure du possible, un ordinateur. Le tableau est simple, épuré et attirant. Or, pour une poignée d’Élus, combien d’apôtres délaissés, dont les rêves brisés en mille et un morceaux parsèment le Chemin ?
Loin d’être une croisière festive, ce choix de vie est plutôt un combat au quotidien, placé sous le signe de la recherche perpétuelle de contrats, de clients, d’opportunités, de collaborations. On ne devient pas Digital Nomad en claquant des doigts, en postant une vidéo sur Youtube et se prenant en photo devant une plage caribéenne. Loin de là – et tous les témoignages le confirme – c’est un véritable job qui réclame une présence H24, J7 et A365, avec une nécessité d’être constamment sur la brèche et où acharnement, patience, professionnalisme et remise en question permanente ne sont que quelques unes des valeurs essentielles pour espérer s’en tirer à bon compte et s’inscrire dans une logique de longévité.
Je ne dis donc pas que c’est infaisable, loin de la. Je dis simplement que c’est un véritable métier ô combien chronophage, aux contours encore bien indéfinis et qui demande un immense investissement personnel, bien souvent sous-estimé ainsi qu’un courage total, une confiance en soi absolue et une sacrée dose d’abnégation. Cependant, si d’autres y arrivent, pourquoi donc pas vous ?
Et si cela fonctionnait aussi avec le Voyage ?
N’avez-vous jamais connu cela ?
Une attente démesurée, fondée sur des espoirs immenses et qui s’écroule comme un château de cartes mal bâti, une fois arrivé sur place ?
De temps à autres, lorsque j’interviens sur des salons internationaux, je rencontre d’ex et de futurs PVTistes, notamment canadiens. Ils viennent chercher conseils, anecdotes, récits et confronter leurs expériences aux nôtres. Souvent (un peu trop à mon goût d’ailleurs), revient un certain sentiment d’inachevé, de déception. Entre Canada et Australie, je lis, dans les yeux de mes interlocuteurs, des regrets, des doutes, des questionnements. Pourquoi est-ce que la vie, là-bas, de l’autre côté de l’Océan, ne fut pas celle dont je rêvais ? Où est donc cet Eldorado si rêvé, tant chanté, où j’aurais du être accueilli sur un tapis rouge de roses, avec Trompettes et Louanges ? Pourquoi n’ai-je donc point trouvé un emploi qualifié en 5 minutes ? Pourquoi m’a-t’on renvoyé à ma propre inexpérience, à mon statut de français fraîchement arrivé, tout juste débarqué ?
Je ne fais ici nul critique d’un pays que j’affectionne follement – le Canada en l’occurrence. Je me contente simplement de pointer du doigt l’effet néfaste que peut avoir une publicité outrancière, visant à assurer d’un Paradis sur-mesure, d’un Eldorado garanti, de bras ouverts et d’un avenir tout tracé.
Encore une fois donc : méfiance. Il est légitime d’avoir des Espoirs (d’une vie meilleure, d’une herbe plus verte, d’un avenir radieux) et c’est même cela qui est le moteur de beaucoup d’entre nous – moi le premier. Cependant, gare à ne pas placer iceux trop haut, à une hauteur icaresque d’où la chute ne serait que trop mortelle. Je pense qu’il vaut mieux partir avec l’envie simple d’autre chose, accepter les réussites et les déconvenues avec une même égalité et ne pas oublier qu’en voyage, rien n’est figé.
Du rêve à la réalité, un juste milieu ?
Le rêve est le moteur, la réalité est le frein – pour ne pas dire l’obstacle. Du coup, faut-il donc jeter à la corbeille nos rêves, nos envies, nos ambitions ? Faut-il donc se contenter de ce que l’on a et garder en un coin de sa tête nos folles envies, nos plus beaux espoirs ?
C’est à chacun d’entre nous de choisir, en son for intérieur, ce qu’il veut réellement. Croire tout ce que l’on voit, rejeter en bloc les images filtrées, refuser de se renseigner ou, au contraire, absorber toutes les informations possibles. Chacun d’entre nous possède sa façon de conceptualiser un voyage. Nous plaçons nos curseurs personnels à des hauteurs différentes, selon nos attentes respectives. Entre le voyage d’une vie et le petit citytrip dans la capitale voisine, entre une expatriation programmée et un tour du monde organisé en dernière minute, entre une virée entre potes et un tour de France solitaire, les voyages se font et se refont, au gré des vents et des sentiments, tout comme les rêves vont et viennent au gré de nos découvertes, lectures et écritures.
J’ai donc envie de dire que, OUI, il y a un juste milieu entre rêve(s) et réalité(s). Cependant, il est différent pour chacun d’entre nous et c’est, justement, à chacun d’entre nous de vouloir le trouver, le situer, le localiser.
Que vous vouliez le faire, ou non, n’oubliez cependant pas :
« Please, mind the Gap between your dream and the reality »