voyager. Faire un ou des voyages, partir ailleurs, dans une autre région, un autre pays : Aimer voyager à l’étranger. Faire un parcours, un trajet (de telle façon) :Voyager en première classe. Être transporté en parlant de choses, d’animaux : Denrées qui voyagent en camion frigorifique.
Ces voyages qui ne disent pas leur nom.
Des frissons qui court le long de la colonne vertébrale et un sourire qui vient de loin, de très loin. Un regard perdu dans une vague contemplation. Des yeux qui se ferment doucement. Une tête qui bascule en arrière. Un intense sentiment de satisfaction qui s’installe. Sur l’écran, devant moi, un courriel est affiché, confirmant l’achat et la réservation de quatre billets d’avion pour octobre 2018, à destination d’une ville où je ne suis plus retourné depuis presque dix ans : New York.
Allongé sur le canapé, je n’ai plus le droit de bouger. Blotti contre moi, son visage collé à ma poitrine, Fils dort doucement. Réveillé au début de la nuit, il s’est littéralement jeté dans mes bras façon Koala pour ne plus décoller. Sous le regard aussi attendri qu’ironique de #DeT, je ne peux qu’attendre et profiter d’un moment d’une rare intensité. Essayer de calquer ma respiration sur la sienne. Effleurer sa peau du bout de mes doigts, caresser doucement ses cheveux, sentir son cœur battre la chamade. L’occasion parfaite pour se rendre compte du chemin parcouru depuis un peu plus de deux ans et contempler avec effroi, envie et étonnement tout ce qui nous attend.
Un tiroir qui s’ouvre pendant une séance de ménage. Une photo à moitié cachée sous d’autre photos. Format carré, couleurs vieillies et une faille gigantesque qui semble donner sur la croûte même de la Terre : c’est le Grand Canyon. Le cliché vient d’un autre monde : les années soixante-dix et raconte le voyage aux USA de ma mère et d’une de ses amies. Poussé par le curiosité, je bouscule les piles et trouve d’autres souvenirs, d’autres témoignages de ce temps révolu dont elle m’a si souvent parlé, avec une pointe de nostalgie et des étoiles dans les yeux.
Une promenade dans la rue, quelque part dans Paris. Le temps est sombre et l’orage gronde au loin. Il faut trouver un endroit où se réfugier, vite. Une porte poussée et un rade crade comme il n’en existe plus. Une clientèle d’habitués, à la mine fatiguée et aux gestes alanguis. Une patronne qui lève un œil interrogation en marmonnant une quelconque parole de bienvenue, tout en passant un chiffon sale sur un zinc qui a du voir passer des millions de café, de demis et de croissants matinaux. Dans un coin, un vieux juke-box avec de vrais vinyles. Sur les murs, des réclames publicitaires aussi désuètes que charmantes. Et, au milieu de tout ça, un poster : des montagnes enneigées, un lac glacé, un chalet. Se perdre là-bas pour ne pas être ici. Plonger dans ce sas. Oublier.
Une nuit banale dans un appartement banal d’une ville tout aussi banale où ne faisons que passer. Tout le monde dort, sauf moi. Captivé par ce que je lis, j’en ai oublié le temps qui passe, les impératifs de demain, les événements d’aujourd’hui et les émerveillements d’hier. Aux côtés des personnages de ce bouquin, je me retrouve dans d’impossibles aux noms délicieusement exotiques. Je passe d’une capitale à une autre sans coup férir. Les surprises et rebondissements s’enchaînent à un rythme hallucinant. En quelques quatre cents pages, je fais une dizaine de fois le tour du monde, sans bouger de mon canapé. Une parenthèse enchantée.
Trouver un vieux sac en papier, déposé là, dans ce coin, un soir de ménage. Le regarder longuement en se demandant ce que cela peut bien être. Le prendre, l’ouvrir, rigoler. Dedans, les souvenirs éparpillés de plusieurs années de bourlingue. Des tickets de métro russe, des cartes de visites islandaises, de la monnaie de Cuba et un badge du Yukon. Un numéro de téléphone griffonné par une mail pressée et malhabile. Une carte bancaire néo-zélandaise expirée. Quelques billets froissés venus d’Estonie. S’asseoir devant tout ce contenu éparpillé sur la table, accrocher le regard de quelqu’un et raconter l’histoire. Leurs histoires. Notre histoire.
Voyager, ce n’est pas qu’une histoire de déplacements.
Si je devais m’en tenir, stricto sensu, à la définition du voyage telle que présentée en introduction, j’avoue que je serais un petit peu triste. Honnêtement, quel autre mot de notre langue est autant porteur de rêves, de souvenirs, d’envies que ces six lettres ? Quel autre mot peut inciter, lancer une discussion, des projets ? L’on dit souvent, par exemple, que le projet d’un voyage est déjà un voyage. Or, je crois que le voyage est justement polymorphe et qu’il ne se limite aucune à une histoire de déplacement géographique.
Le voyage peut être culturel, touristique, littéraire, intime ou encore publique. Il peut se produire ici et maintenant – pendant que vous lisez ces lignes -, demain, après-demain ou dans quelques minutes. Rien ne permet de savoir quand il va arriver et ce qu’il va vous faire vivre. Il ne saurait donc se résumer à un concept encadré par des barrières trop définies. Je conçois le voyage comme quelque chose d’immobile et pourtant en mouvement constant, toujours remis en cause, discuté, tiraillé. Il est à la fois personnel et universel, unique et reproduit à l’infini. Véritable nid de paradoxes, chacun l’accommode à sa propre sauce, en fonction de son vécu, de son passé, de ses expériences.
Tenter d’étiqueter le voyage, tenter de le ranger dans des petites boites carrées, c’est la façon le plus sure d’en tuer toute sa beauté. Les mots qu’utilise le Larousse pour le définir sont déjà analytiques, presque froids et réducteurs. Comment est-ce donc possible de pouvoir expliquer ce que chacun vit et ressent de façon différente ? Soixante millions de personnes, cela fait soixante millions de définitions du voyage. Je pense que l’on peut donc plus parler d’une tentative d’approche globale plutôt que d’une description exhaustive et figée, si tant est que ce soit la le but premier d’une définition.
La polymorphie du voyage – sa capacité à endosser toutes les formes possibles et imaginables – est l’une des plus belles choses qui soit. « Faire de chaque jour un voyage », « profiter de chaque occasion pour voyager depuis chez soi, sans bouger de votre canapé » ou encore « voyager sans vous déplacer » : c’est également là un enjeu immense qui va être fortement discuté dans les années à venir, alors que notre monde va devenir de plus en plus connecté, de plus en plus virtuel, des téléphones à la VR en passant par le déplacement instantané (qui sait ?).
Ne pas définir, c’est laisser vivre, être et exister.
En cherchant à ne pas définir le voyage, je pense donc qu’on laisse la porte ouverte à toutes les folies, à toutes les possibilités. En refusant de le découper de façon analytique, en allant plus loin que l’étiquetage de chacun, on ne rentre pas dans un jugement implicite mais plutôt dans une logique d’acceptation et d’ouverture.
Alors, certes, il est et sera toujours pourtant possible de cataloguer ceci comme cela. Mais, encore une fois, définir, c’est mettre un nom, mettre des mots sur quelque chose qui n’en a peut-être pas forcément besoin. Laisser planer le doute, laisser vivre, être et exister, n’est-ce pas là-aussi une certaine forme de voyage, du rien vers le tout ?
J’aime le voyage tel que je le vis. J’aime à en parler, à en discuter, à raconter et à écouter. Ce que je n’aime pas, a contrario, ce qui m’horripile, c’est la confrontation des étiquettes, le combat des façons, les opposition aussi vieilles que ridicules. Je rêve que chacun puisse s’approprier son propre voyage, se le définir à soi-même, en prenant ce qu’il trouve bon ailleurs, en se l’appropriant et en rejetant ce qui semble mauvais.
Voyager, c’est vivre, mourir, aimer, détester, bouger. Voyager, c’est aussi découvrir, explorer, arpenter, toucher, rejeter, aimer, haïr. C’est tout cela et rien du tout, à la fois. C’est, simplement, voyager (et rien de plus).