Au commencement, il y a une pochette de cuir, de forme rectangulaire, avec deux ouvertures dotées de fermetures éclairs. Simple, pratique, discrète, offerte par une amie bien intentionnée. Ensuite, il y a 5 années de voyage durant lesquelles elle me suit partout, collée au corps, toujours présente, jamais perdue. Et puis, il y a – littéralement – la rupture : une déchirure latérale irréparable, tout comme mon cœur lorsque je l’ai remisée sur le quelconque étage d’un quelconque placard où elle est restée… jusqu’à aujourd’hui.
L’archéologie des souvenirs
Sortis un à un de la pochette, étalés devant moi sur la table, j’ai la tête plongée dans les souvenirs. Chacun de ces objets possède son histoire propre, son récit personnel, son expérience vécue et chacun d’entre eux évoque quelque chose pour moi. Pris tous ensemble, ils ne semblent former qu’un vaste fatras poussiéreux et bordélique prêt à être jeté dans la première poubelle venue. Infamie ! Horreur ! Désolation ! Il faudrait me passer sur le corps pour ce faire. Que nul ne s’approche d’iceux, que nul ne touche mes joyaux, mes aimés, mes précieux car, souvent, ce qui apparaît banal à l’un peut être extraordinaire pour l’autre.
Je pourrais par exemple vous raconter l’histoire de cette carte bleue, avec une inscription en cyrillique dessus : savez-vous que c’est une carte du métro de Saint-Pétersbourg ? Ce métro diabolique où les couloirs sont à sens unique, où chaque station porte un nom différent selon la ligne qui y passe, où les portes sont de fer et où le nom annoncé au haut-parleur, dans le wagon, n’est pas celui de votre arrêt mais de celui à venir ! Ce même métro où, pendant un séjour itinérant, j’ai acheté 21 cartes et obtenu 21 formulaires A4 remplis recto ET verso par la préposée à la vente, qui n’a pas saisi que je voulais UN reçu pour l’ensemble et non pas VINGT ET UN reçus. C’est aussi dans ce métro que j’ai saisi que PERSONNE ne parle anglais en Russie, que les policiers font des blagues anti-allemandes (STOP ! AUSWEISS BITTE !) et qu’il vaut mieux baragouiner un peu de russe pour s’en sortir…
La carte VISA située juste en-dessous dudit ticket pourrait elle aussi constituer une belle opportunité de vous causer WHV, Nouvelle-Zélande et escapade au pays des Kiwis puisqu’il s’agit de celle que j’ai utilisée pendant mes sept mois à Ao Tearoa. Je me revois encore, le lendemain de mon arrivée à Wellington la belle, errer tranquillement dans les rues et découvrir ce qui allait être ma ville de résidence pendant un temps indéfini. Je me rappelle ce sentiment de certitude – « Je suis à ma place » contrebalancé par l’exploration permanente et renouvelée à chaque coin de rue. Je me souviens de cette douce assurance acquise par les voyages précédents et ce plaisir de parler un anglais compréhensible, aidé au besoin par les autres langages universels du voyageur. Je sens encore l’odeur iodé en sortant de l’aéroport, ce vent terrible qui cingle la ville et le plaisir d’être à l’autre bout du monde !
Remontant à 2007, la carte d’adhérent est un objet étrange puisque je ne l’ai jamais utilisé, ce qui ne m’a pas pour autant empêché de fréquenter des auberges de jeunesse à ne plus qu’en faire, où j’ai rencontré toutes sortes d’énergumènes bizarres et dormi dans des lieux extraordinaires de par le monde, que ce soit dans un ancien monastère du Connemara ou dans des lieux d’exceptions – encore – chez les Kiwis ! Cependant, quand je suis posé quelque part pour un bout de temps, je ne m’embête pas et je fonce dans les magasins pour acheter – simplement – un lit. C’est cette histoire que raconte le ticket de caisse annoté « Single Bed – $50 » et acheté à la Salvation Army. Pourquoi investir dans du neuf quand on peut faire une bonne action et se doter d’un matériel correct à bas prix ? J’ai découvert cela à Whitehorse et je maintiens cette pratique dès que je le peux.
Au centre de la photo, immanquable et très égotique, une petite carte plastifiée à laquelle je porte un amour tendre et sincère puisqu’il s’agit de ma toute première accréditation de presse (ou de blogueur). C’est le jour où je l’ai obtenue que j’ai saisi – intimement – que ce « luxe » n’était pas réservé qu’aux autres et que, peut-être, à force de patience et de travail, j’arriverais à tracer mon chemin et à aboutir à mes rêves. Comme un joli clin d’oeil, c’est avec les amis de l’Irlande que cette étape a été franchie, dans un pays que je chéris particulièrement et qui fût ma première terre d’expatriation, quelque part là-bas dans le Mayo.
Enfin, disséminés ça et là, des objets islandais : tickets de bus et de ferry, pièce de monnaie, numéro d’urgence. Des petits bouts de papier venus de cette île volcanique devenue tout d’un coup un Eldorado touristique et où il faut aller à tout prix, envers et contre tout. Si je garde un souvenir exceptionnel de mon premier séjour là-bas, en 2011, je reste par contre semi-traumatisé par le second, réalisé en 2014 : hausse des prix, hausse de la fréquentation, vols, surpopulation dans les campings. Même si elle reste un pays d’une beauté terrifiante, l’Islande s’apprête à connaître – selon moi – des jours sombres que n’éclaireront pas assez les aurores boréales nationales…
La pochette est désormais rangée, les objets classés et triés et les souvenirs redescendent doucement, laissant place à la réalité quotidienne. Mon voyage quotidien en compagnie de l’extraordinaire se poursuit mais je sais que, quand je suis nostalgique, triste, déçu ou malheureux, je n’ai qu’à ouvrir cette boite, dans ce tiroir, de ce meuble, pour replonger dans le temps passé et revivre, objet après objet, souvenirs après souvenirs, les voyages passés : une fouille archéo-temporelle, à travers les strates de mon existence !