Je me souviens avoir voyagé
Je me souviens… les départs en vacances, tôt le matin, un jour de juillet.
Je me souviens… de l’odeur d’essence quand je m’approche de la voiture, du bruit de la portière qui s’ouvre, des allers et retours jusque l’ascenseur pour charger les nombreuses valises dans la voiture familiale.
Je me souviens… d’une atmosphère feutrée, de la préparation psychologique pour une journée de voyage pour arriver à destination et des sourires fugaces échangés avec mon père.
Je me souviens… des repères sur la route, d’une église qui signifiait « Ciao Paris », d’un panneau indicateur avec un chiffre kilométrique indécent, témoignage innocent du temps à venir, d’une relativité toute spéciale, n’en déplaise à certains.
Je me souviens… de questions, de chamaillerie, de bagarres, de tensions et de rigolades. Des moutons sortis pour les montrer à d’autres moutons. De siestes, allongé à l’arrière, dans cette DS qui m’a tant vomir (maudite suspension hydraulique !). Des virages montagneux et montagnards, provocant de joyeuses crises de « Je te pousse et tu me pousses ».
Je me souviens… des arrêts au milieu de nulle part, sur une aire d’autoroute, sur un banc le long d’une départementale. Je me souviens de l’Opinel sacré, couvé des yeux et tant chéri, à la lame ébréchée et fatiguée. Je me souviens du froissement du papier aluminium emballant les sandwichs, de la gestuelle pour éloigner les abeilles, des rires des enfants et des chants des mamans.
Je me souviens… de m’être levé pour aller chercher des œufs, d’avoir pleuré parce qu’il n’y en avait plus et d’avoir ri en cueillant des coquelicots. Je me souviens de Plezevet, d’une vieille dame et de couchers de soleil admirés une crêpe à la bouche, adossé contre ma mère.
Je me souviens… des campings en Alsace, de Masevaux, des canaux de Strasbourg, du musée des voitures de Colmar. Du passage à la frontière dans les années 90, avec l’indispensable carte d’identité, précieux sésame pré-Schengen qu’il fallait absolument posséder sous peine de laisser au loin les vacances et la Bavière.
Je me souviens… d’avoir été émerveillé, fasciné, estomaqué, effrayé, ennuyé. Je me souviens d’avoir aimé, détesté, abhorré, adoré, haï. Je me souviens d’avoir feint l’enthousiasme et dissimulé l’ennui, d’avoir suivi par dépit et d’être resté derrière par fierté.
Je me souviens… d’un petit village italien et d’une carte routière étalé un jour de juillet 98. Je me souviens de longues discussions en voiture, de père à fils. Je me souviens de longs voyages en train et de grands moment de rigolade, de mère à fils. Je me rappelle du regard paternel sévère quand je ne plantais pas les sardines de la tente comme il le fallait, quand je ne voulais pas de son Viandox. Je me rappelle aussi de sa fierté devant un auvent bien monté, devant des matelas déjà gonflés, devant une action lentement et intelligemment entreprise.
Je me souviens… de ce copain hollandais rencontré à l’aube de mes douze ans, avec qui je parlais le langage universel des enfants. Je me souviens d’amourettes, de cœurs fendus et de tous les non-dits. Je me souviens les sardines grillées de Saint-Malo et la navette pour rejoindre Dinard. Je me souviens de Dinan, du Mont Saint-Michel et de ce porte-clé cassé qu’on avait été échangé.
Je me souviens… de ma liberté adolescente, d’une poignée de schillings viennois dans la poche et mes aventures dans la patrie de Freud, seul, témoignage précieux d’une confiance parfois pas soupçonnée. Je me souviens aussi des longues nuits teutonnes avec, pour ton compagnon, un guide du routard de l’année courante et l’édition mensuelle de Science et Vie. Je me rappelle avoir été triste de rater deux éditions de France Football et d’espérer revenir assez vite en France pour rattraper mon retard.
Je me souviens… d’une nuit passée à vomir tripes et boyaux dans une ferme où l’omelette devait être trop fraiche. Je me souviens de week-end passés aux quatre coins de la France, à Reims, en Normandie, dans la Somme ou au Pays du Grand Meaulnes. Je me souviens du Mercantour, des Ecrins et du Roc Noir.
Je me souviens… d’une nuit de tempête en Autriche où, seul dans ma tente, j’ai écrit longuement et tendrement à une demoiselle. Je me souviens des longs travaux d’écriture, de ces semaines résumées en quelques mots en, « tout va bien, je m’amuse, bisous ». Je me rappelle d’avoir envoyé, reçu, échangé des adresses, des lettres, des cartes postales.
Je me souviens… du moment du départ, de la tristesse, de la joie, du bonheur de rentrer, du dépit de partir. Je me souviens d’une purée périmée depuis 3 ans retrouvée au fond d’un placard, d’une batterie d’automobile tombée en panne en haut d’un col, d’un bouchon interminable qui répondit à ma question « On arrive quand ? ».
Je me souviens de mes vacances, de mes voyages enfantins et adolescents.
Je m’en souviens et j’en suis heureux.