Petit moment de paradis

Carnets de Finlande Vol.4 : Åland

Au jour le jour, au gré des inspirations, des souvenirs, des anecdotes, des traces : les Carnets de Finlande ne sont pas un guide pratique. Ni vraiment un article. Ni vraiment un témoignage. Juste quelques mots pour raconter. Créer un pont entre vous et moi. Et me souveniren quatre étapes, épisodes, moments. Qui se terminent à l’archipel d’Ålandquatrième étape de mon séjour.

Åland, île était plein de fois.

29/9/23
Soirée électorale à Mariehamn

Il est gros ce bateau. Voire même énorme, à vrai dire. Le genre de mastodonte marin sur lequel, en temps normal, je ne poserai pas le moindre pied. Mais il se trouve que je dois aller explorer l’archipel d’Åland et que le moyen le plus efficace d’y aller est de prendre ce truc. Il semble d’ailleurs que je ne sois pas le seul vue la foule qui embarque avec moi depuis Turku. Familles, touristes, groupes : il semble que je ne vais pas être seul à descendre à Mariehamn, la capitale et porte d’entrée des îles ! En attendant, et en prévision des quelques six heures de traversée, je cherche un coin où me poser pépére, avec une prise de courant, du wifi et de la tranquillité. J’ai bien envie de profiter du temps pour m’avancer. Sauf que, c’est pas possible apparemment: la connexion navigue entre l’abominable et l’immonde, les prises se comptent sur les doigts d’un manchot et je ne trouve aucun casier gratuit où déposer mon sac. Faut payer, partout, pour tout. Et ça, franchement, c’est pas ma tasse de Saké, encore moins d’aquavit. Du coup, gros soupir et balade dans le bateau où je ne trouve strictement rien de pertinent sur lequel investir, pas comme les locaux qui squattent le bar depuis son ouverture : l’effet duty free et avoir un endroit où ne pas payer sa pinte 12€90 ! Je finis posé à côté d’un hublot, à regarder les îles succéder aux îles. Avec plus de 6500 au compteur, peut-être qu’il y en a une à vendre ?

14h45 : le ferry s’amarre et, à défaut de se gondoler, fait descendre tous ceux qui le veulent. Dont moi et plein de gens qui, au lieu d’aller vers la porte de sortie, reprennent immédiatement la direction de Turku. D’où ils viennent : pas un bug mais une activité apparemment très normale dans le coin que d’embarquer sur un ferry, faire un tour et revenir, que ce soit pour des rendez-vous professionnels, un workshop, une sortie familiale ou autre.

Bref, me voici donc arrivé dans ce point d’interrogation majeur que constitue l’archipel d’Åland. J’ai très vaguement défriché le terrain à l’aide des articles d’Alex’ de Zone Blanche (mais si, celle de Barr, remember !) mais à part, tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien. Et même si ne pas savoir, c’est déjà savoir (que l’on ne sait rien donc), il faut quand même que je sache certaines choses. Notamment ce qu’il y a à faire à cette période de l’année. Je passe donc très vite déposer mon sac dans l’un des rares hôtels encore ouvert à cette époque (et qui ne coûte pas un bras) et je fonce effectuer ma rituelle visite à l’OT, où je suis accueilli avec autant de gentillesse que de surprise (parce que des français qui viennent à Marienhamn, y en a déjà pas des masses. Mais des français qui viennent à cette période pour mettre un guide de voyage à jour, y en a encore moins). Je prends des notes, j’annote ma carte, j’enregistre les recommandations et je pars me balader dans LA rue aussi principale que piétonne de la ville, ville qui possède un avantage merveilleux : être franchement petite. Et donc qui peut se parcourir super facilement à pied et en vélo.

Un burger plus tard, me revoici dans mon hôtel. La fin de la journée approche et je n’ai pas forcément envie de sortir. Cependant, ma conscience professionnelle, ma YOLO attitude et ma faim me prennent par les épaules, me foutent un bon coup de pied collectif au cul et me voici dehors, à marcher vers le centre-ville où, à peine arrivé, on me propose une pomme. Puis un hotdog. Puis une autre pomme et un autre hotdog. Avec un coca, du jus de pomme et un café : je suis tombé en pleine soirée électorale, avec des magasins qui font une nocturne et plein de bouffe et de goodies gratuits. Je me fais donc une orgie, attrape au vol un drapeau, un truc pour gratter le givre des vitres, des programmes électoraux et même l’équivalent d’un 06 local. Je déambule pendant deux heures jusqu’au clou final de la soirée : des cracheurs de feu. Il faisait chaud, ce soir-là, à Mariehamn !

30/9/23
De Gottby à Gölby

Réveil, petit dej’ rituel (le même que depuis mon arrivée, du muesli avec des fruits rouges, une tranche de fromage, un café : meilleure recette ever) et direction le magasin de location de vélo parce qu’aujourd’hui, je pédale. J’ai envie de nature, de grands espaces, de balades et de pistes cyclables sans bagnoles garées ou d’automobilistes prêts à se battre pour un doigt pointé sur un panneau d’interdiction de stationner et c’est exactement ce que m’offre Åland : des infrastructures cyclables (presque) partout, protégées (presque) tout le temps. Le temps donc de louer une bécane, de vérifier que tout fonctionne correctement, de freiner en pédalant à l’envers et hop, direction un point repéré sur la carte, à une poignée de kilomètres à l’ouest : Gottby. C’est une petite balade pour m’échauffer, en prévision de l’épopée prévue le lendemain.

Sur mon vélo

Sauf que je n’ai jamais trouvé Gottby.

Enfin si, j’ai fini par la trouver, quarante-cinq kilomètres plus loin que prévu. Après avoir un détour absolument démentiel. Démentiel parce que imprévu, magnifique, plein de surprises et de chemins de traverse qui ont commencé quand j’ai tourné à gauche plutôt qu’à droite, vers Gölby et que ce n’était pas la bonne route, qu’il a fallu que je fasse demi-tour avant de m’apercevoir que j’avais foncé plein nord au lieu d’aller vers l’est. En même temps, pourquoi me prendre la tête à regarder le GPS quand je pédale en toute sécurité et que j’ai l’impression de savoir peu ou prou où je vais ? En tout cas, vu que j’y suis, ce serait trop bête de ne pas insister alors je repars vers l’inconnu, en essayant de ne pas (trop) me perdre. Je tombe sur un petit circuit hallucinant de beauté (et terriblement casse-gueule) où il est question de troll et de mirador. Je bifurque juste avant Gölby, le long de la 40 et je pédale, encore et encore, franchement heureux. Une pizzéria-salon de thé m’accueille avec le sourire et de la mozzarella en tube. Et je repars encore, sur mon vélo. Je tourne au bout de la route, plein sud le long du sac. Puis j’arrive enfin à Gottby que je dépasse sans m’arrêter avant de m’offrir un nouveau détour supplémentaire vers Kungso pour aller voir un site un peu excentré : puisque je viens de rajouter quarante bornes à mon itinéraire, pourquoi ne pas en faire trois ou quatre de plus, vu le point où j’en suis (et d’ailleurs, ce principe de faire un détour « juste au cas où », c’est l’un de mes moteurs en voyage).

Bref, je passe ma journée à pédaler, sourire et kiffer de ouf (comme disent les jeunes. Ou pas) Åland. J’avoue avoir quelques très légères courbatures le soir, une fois rentré mais rien ne qui puisse m’empêcher de remettre le couvert le lendemain, couverts que j’utilise de par ailleurs le soir en testant une adresse où les recettes finnoises et asiatiques fusionnent avec un certain bonheur. Ensuite, c’est un classique : soirée de boulot avant le dodo.

1/10/23
Bonjour Högskär !

Trajet prévu en ce dimanche : environ soixante bornes, pour aller voir le château là-haut puis la forteresse, juste après. Je me gratte un peu la tête en me demandant si c’est vraiment, après tout, une si bonne idée que ça. Et alors que je suis encore en train de réfléchir, je reçois un DM sur IG qui me dit que le château a fermé plus tôt que prévu, est-ce que je suis au courant ? Ben, justement non et honnêtement, ça m’arrange presque et je change tout mes plans en décidant d’aller à l’est, voir ce qu’il se passe vers Högskär.

Pour le coup, aucune erreur de chemin possible puisqu’il n’y a qu’une seule route qui y va depuis Mariehamn. Je n’ai donc qu’à pédaler derechef encore et encore, souriant face aux vents et aux (trop) nombreuses montées. Je trouve le paysage un tantinet moins enchanteur que la veille mais, encore une fois, je sais qu’il me suffit de bifurquer à n’importe quel comment pour tomber sur une pépite bien planquée. Cependant et attendant d’aller chercher de l’or, il est midi et il fait faim. Or, où manger un dimanche midi sur l’île d’Högskär ? Et bien dans le seul restaurant ouvert, un restaurant finno-asiatique une nouvelle fois, avec un immense buffet à volonté : idéal. Tellement idéal que ma CB décrète qu’il n’est pas possible que je puisse profiter d’un tel plan sans souci : paiement refusé, trois fois de suite. Le patron, ennuyé par son matos, me dit que ce n’est pas la première fois que son terminal déconne, que je n’y suis pour rien. On réfléchit : pas de distributeur à moins de dix bornes et aucun retour de ma part dans le coin. Il me regarde, regarde la salle et me dit, comme ça, qu’il m’invite, que le repas est pour lui. Je sens monter en moi autant qu’incrédulité que de gratitude devant ce geste d’une humanité profonde. Cependant, je suis gêné de bouffer à l’oeil à cause d’un problème technique. Du coup, je tente une dernière manip’ : installer une app’ de paiement sur mon téléphone. Qui elle, marche sans aucun souci. C’est donc avec la conscience tranquille que je remercie une nouvelle fois le patron et que je fais un sort au buffet !

Pour digérer à Åland, quoi de mieux que de pédaler ? C’est ce que je me dis en décidant d’aller voir ce qui semble être une plage en bord de lac, un poil plus haut. Et qui est en fait un putain de paradis comme seule la Finlande semble pouvoir en offrir : un lac, des roseaux, des cabines en bois, de la solitude. Et l’immense envie de me poser là pour ne plus en bouger, jamais. Ce que je fais partiellement, juste assis sur mon banc, dans le vent. Regarder, sentir, humer. Se sentir heureux et se dire que, bordel, même si elle est chaotique, cette vie, je ne l’échange pour rien au monde.

Petit moment de paradis

Las, il faut repartir et savoir dire au revoir aux instants magiques : l’après-midi étant déjà relativement avancé, je tourne le guidon en direction de Mariehamn, histoire d’aller voir deux réserves naturelles situées à l’extrême sud de l’île et recommandées chaudement par l’OT lors de mon passage: Järsö et Natö. Comme d’habitude, la route est magnifique mais je ressens sérieusement – pour la première fois – le contrecoup physique des 80 bornes en deux jours et de la fatigue accumulée par presque trois semaines de vadrouille ininterrompue. Aussi, je ravale ma fierté et je rentre tout doucement vers mon hôtel, me faisant doubler en chemin par un jeune en VTT et un gnome en tricycle.

Au restaurant, le soir, évènement exceptionnel : une discussion en français avec une serveuse ayant habité à Montpellier. On rigole et discute pas mal jusqu’à ce que le patron lève un sourcil soupçonneux : la grande salle d’à-côté réclamait le dessert..

2/10/23
Geta, mon paradis

Avant-dernier jour de présence à Åland et antépénultième en Finlande. Je décide d’abandonner le vélo (dont la location touche de toute façon à sa fin) et de ne pas me lancer dans un plan ferry-bus casse gueule à en crever qui risque de me voir rater une correspondance et de me retrouver Grosjean comme devant. Bref, je m’oriente plutôt sur un test du réseau de bus local et une jolie randonnée vers Greta, un patelin au nord du nord.

Cinquante minutes de trajet, me voici donc devant le supermarché-bureau de poste-office de tourisme-musée de Greta, un lieu unique qui centralise tous les services. Et qui fait de supers sandwiches maisons emballés dans de tout autant supers conseils 101% locaux. C’est armé d’un plan et de recommandations que je pars me balader en solitaire. Je savais que le coin allait être sympa. Ce que je ne savais pas, par contre, c’est qu’il allait être simplement incroyable. Génial. Exceptionnel. Je ne tombe d’habitude pas facilement dans le lyrisme et le dithyrambique mais là, bordel de bordel, c’était juste ça, y a pas d’autres mots. Une variété de paysages folle, de la solitude, de la grimpette, des anecdotes historiques le long du chemin, une référence à la Défense : il ne manquait rien. Même ma chute dans la boue en voulant prendre une photo du lac n’a pas réussi à m’arracher mon sourire. Ni les montées à quasiment 90° sur des rochers trempés. Rien de rien. J’a eu l’impression que c’était le point d’orgue de ce voyage, une conclusion magique.

Une fois remis de mes émotions, je retourne squatter mon supermarché en attendant le bus. On parle avec la vendeuse-caissière-conseillère touristique pendant une bonne heure, entre deux clients qui viennent taper le bout de gras et boire un café. Encore un moment génial, d’une rare humanité, que j’ai savouré à sa très juste mesure !

Le soir, retour à Mariehamn, restau’ et boulot : c’est ma dernière nuit à l’hôtel (qui s’est mystérieusement changé en Bed and Breakfast ce matin).

3/10/23
Se mouiller pour Åland

Dernière matinée à Åland. Je boucle mes sacs et descend m’enquérir à la réception de la possibilité de les laisser pour la journée parce que mon ferry, ce soir, part à minuit pour Helsinki et que je ne vais pas me trimballer ces trucs sur le dos toute la journée. Ah ? Ce n’est pas possible mais il y a des casiers à la gare maritime. Bon, on va dire que ça fera l’affaire. Je ne vais pas m’emmerder, je vais tout caser dedans et juste prendre mon petit sac, sans le manteau vu que la météo est OK encore une fois. Ah, ah, cette erreur de débutant, bordel : je ne sais pas ce qui m’est passé par la tête mais la météo, en réalité, n’a pas du tout été OK. Mais alors pas du tout. Toute la drache que je n’avais pas vu au-dessus de moi depuis mon passage à Nuuksio en début de séjour est venue me saluer pour mon dernier jour. En gros, il a plu non-stop toute la journée, depuis les petites gouttelettes amicales jusqu’à la bonne grosse pluie bien relou. Alors, tant que j’en suis resté à mon programme, en enchainant les visites des musées, ça a été mais, à partir du milieu d’après-midi, quand tout était fait, qu’il était 15 heures et que mon ferry ne partait qu’à minuit, il a bien fallu que je fasse un truc. Or, il y a quelque chose que j’ai appris pendant mes voyages : les bibliothèques sont toujours un excellent lieu où s’échouer. C’est donc ce que j’ai fait pendant trois heures, en lisant Ready Player One en anglais (et en faisant une mini sieste incognito).

Le reste, c’est un passage au restaurant prolongé aussi longtemps que possible, une ou deux escales sur le chemin du terminal pour rester au chaud et abrité et une attente aussi froide que longue devant des portes désespérément closes. J’ai foncé récupérer sacs et manteau dès qu’icelles se sont ouvertes, me promettant – mais un peu tard – que l’on ne m’y prendrait plus !

La nuit du 3/10 au 4/10
Bordel, c’est quoi ce truc ?

Dormir sur un ferry, c’est quelque chose de déjà fait. Dormir dans une cabine de ferry, c’est cependant une nouveauté. Et dormir dans un ferry qui fait casino, salle de spectacle et centre commercial, c’est définitivement une première fois qui restera gravée longtemps dans ma mémoire ! L’univers de ces bateaux de croisière démesurés est une terra incognita absolue pour moi. C’est quelque chose que je ne connais pas et qui ne m’attire absolument pas. Mon incrédulité a été sans cesse réhaussée au fur et à mesure de mes balades le long des quelques onze étages du monstre, devant les magasins, la salle de spectacle et ses danseurs, les bars ouverts jours et nuits (et devant les tarifs totalement dingues, aussi). Je crois que j’ai rarement été aussi heureux de quitter un navire lors de son arrivée au port d’Helsinki (mais peut-être que les choses auraient été différentes si j’avais eu la Cabine Moumines, pour compléter ma collection où se trouve un mug, des gateaux, des bonbons et même des pansements).

4/10/23
Au revoir la Finlande

Et voilà. Je suis à l’aéroport d’Helsinki, après un dernier repas à base de renne et de fromages. J’ai marché un peu, pris l’équivalent du RER local, dévalisé le supermarché en gâteaux Moumines, enregistré mes bagages, franchi la sécurité et erré dans la zone commerciale. L’avion s’apprête à décoller et moi à m’endormir. Il me faut encore choper un TGV vers la gare des Betteraves où je vais être récupéré. J’ai encore quelques semaines de taf devant moi avant d’avoir bouclé le guide et il faudra surement quelques mois avant que je ne le tienne dans les mains mais j’ai la satisfaction d’un voyage génial, d’une enquête de terrain réussie et du bonheur d’avoir revu la Finlande!

Au revoir Helsinki !

[Bonus photographique]
Åland au tél’

Lever, appuyer, enregistrer : une fois n’est pas coutume, mon téléphone a passé bien plus de temps dehors que mon appareil photo. Il faut dire que c’est tellement facile aussi. Et utile, vu que j’utilise les photos en lieu et place de la prise de notes. Alors, façon en vrac et main levée, voici Åland au tel’ !

Åland au tél : le bateau

Åland au tel : à vélo

Åland au tel : version nature

Åland au tel’ : Mariehamn


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