Avant au goût d’aujourd’hui
Tout est parti d’un message sur Twitter.
Un message qui en a appelé d’autres. Sarah était là, elle m’a demandé si j’y étais aussi. Du coup, est venue une invitation, lancée à la volée et rattrapée avec brio. Et sont arrivées deux heures, partagées autour d’une table basse, dans le jardin. Scène ordinaire dans une vie banale : recevoir une amie de passage, lui proposer de passer à la maison, partager un verre, un repas, une vie. C’est ce que l’on faisait avant, tout le temps, en toutes circonstances. Mais, en 2021, plus rien n’est, justement, comme avant. Les repères d’hier sont effacés, altérés. Teintés d’un voile de doute, d’hésitations. On avance un peu dans le noir, un peu dans la lumière. On cherche son chemin, quelle voie emprunter, quelle direction prendre. On trébuche, on fait un détour, un autre. En cherchant la sortie, là-bas, au loin. Comme dans un labyrinthe, un dédale. L’entrée est connue, la sortie identifiée. C’est juste la façon de faire qui pose problème. Beaucoup de problèmes. Il y a une difficulté immense à (re)trouver le juste milieu entre « YOLO, fonçons la tête baissée » et « Hum, je ne sais pas si on fait bien. Ne devrait-on pas attendre encore un peu ? ».
Alors, quand l’occasion se présente, que tous les voyants sont au vert, on fonce, la tête baissée. Et réussir à grappiller ces quelques miettes d’avant, les picorer avec avidité, en extraire la substance pour s’en goinfrer jusqu’à plus faim, s’en repaître avec un plaisir non feint : c’est une merveille. Un signe. Peut-être même un signal. Comme si certaines choses allaient redevenir possible. Comme si, en lieu et place d’un nouveau paradigme, c’est en réalité une réalité à peine modifiée qui revenait à pas feutrés, lentement, très lentement. Se raccrocher à ces moments précieux, c’est revenir à certains essentiels. C’est retrouver un goût perdu, égaré. Renouer des liens, reconstruire des ponts. Il y a ces petites victoires du quotidien et les grandes batailles de la vie, qui peuvent être des défaites aujourd’hui qui se transforment en succès demain.
Anthologie des essentiels
Liste non-exhaustive d’essentiels personnels
Des bières qui trinquent sur une terrasse dans le Vème arrondissement de Paris. Des discussions sous les étoiles d’un ciel étoilé de Corrèze. Mon fils qui court dans les rues de Lens, ma belle-fille qui admet, du bout des lèvres, que oui, c’était une bonne idée que d’aller voir cette exposition de Street Art. Un regard complice et deux mains qui se caressent du bout des doigts. Une langue gourmande qui se lèche les babines devant un morceau de fromage frais. Le soleil qui pointe le bout de son nez au milieu des nuages et qui transforme une journée pluvieuse en ode à la promenade pastorale. Un doigt pointé vers un oiseau coquin caché dans les rameaux d’un arbre, quelque part au détour d’un marais. Une balade en bord de rivière, à saluer les palmipèdes emplumés. Un esprit qui vagabonde au gré des panneaux indicateurs, un choix de dernière seconde, un GPS rendu subitement muet et invité à aller allègrement se faire voir ailleurs. Une bière achetée dans une brasserie inconnue. Un étal de fruits en bord de route, où l’on paie en toute confiance. L’émerveillement devant des ruines longuement traquées. L’empreinte des pas sur le sable mouillé. L’odeur de l’herbe après la pluie. L’ambiance feutrée au petit matin dans une cabane de bois, quand on entr’ouvre les rideaux pour voir si le soleil s’est enfin décidé à se lever, ce gros paresseux. Se prendre une drache monumentale alors qu’il n’y a aucun abri aux alentours. Se promettre de ne jamais recommencer ce genre de plan foireux. Le restaurant sans prétention qui offre le meilleur repas de tous les temps. Le déclic de l’appareil photo qui prend par surprise. Le goût suave et intemporel de la beauté, de l’admiration, de la découverte, de la surprise. Visiter une église perdue au fin fond de la campagne. Echanger un regard de connivence. Se retrouver face à soi-même. Caresser une fleur du bout des doigts.
L’essentiel se fait existentiel
En voyage, chacun possède ses propres essentiels, ses propres petits trésors, ses propres graines qui forment son jardin personnel, clos, intime. Ainsi, même si ces essentiels ne décident pas nécessairement de la réussite d’un voyage – et si tant est qu’un voyage puisse être défini comme réussi – je crois qu’ils contribuent très fortement au ressenti final, aux plaisirs qui en découlent, à la plénitude des expressions et la sincérité des sourires.
Personnellement, j’ai mes petits cailloux que j’égraine au fur et à mesure de mes pas. Si je suis dans une ville, j’aime plus que tout à plier le plan dans ma poche arrière et à errer sans but réel, à me laisser guidé par mes envies. Avec Fils à mes côtés, nous empruntons mille et un détours pour mieux faire semblant de nous perdre, cherchant le merveilleux, traquant l’inattendu, courant après les surprises. Nous laissons parfois de côté tel monument pour mieux aller voir tel jardin, nous dédaignons cette chaine pour aller nous repaitre dans une petite adresse susurrée au creux d’une oreille. En road-trip, je n’aime rien plus que de suggérer des arrêts inopinés, que de dévier systématiquement les itinéraires, de regarder avec une haine non-feinte les suggestions autoroutières du GPS. Je sais d’avance que je vais agacer mes proches, au bout de la centième fois où je vais lancer « Ah, zut, on aurait pu s’arrêter là ! » et autres « Oh, tiens, on ne peut pas juste faire un détour ? Il y a l’air d’avoir des trucs sympas par là-bas ! ». Il y a aussi ce besoin que j’ai de ne pas rentrer dans le premier restaurant venu. Je me dis toujours qu’on peut encore attendre un peu, qu’on ne sait jamais. Lorsque je suis seul, j’adore tourner, tourner encore, comparer, fouiner : c’est mon habitude. Mais quand nous voyageons à deux : gare aux dégâts que mon indécision chronique provoque !
Tout cela, toutes ces petites manies, ce sont mes essentiels. Ils sont à moi, ils sont comme des repaires, des repères. Je ne conçois pas un voyage sans eux, quitte à en devenir presque égoïste, subjectif, d’une mauvaise foi abyssale. Ils font partie intégrante de moi, ils se font formés au fur et à mesure de mes expériences, des tréfonds du Yukon aux montagnes de la Nouvelle-Zélande en passant par les routes de France et de Navarre.
2021 : la nécessité essentielle
Avant de repartir, peut-être, vers de nouvelles aventures européennes (voire même mondiales), je pense que notre été 2021 sera, une nouvelle fois, tourné vers l’essentiel. Je crois que le temps n’est pas encore venu de repartir voir ailleurs qu’ici si l’herbe n’est vraiment plus verte. Trop d’aléatoire, pas assez de certitudes. Les portes me semblent s’ouvrir bien trop vite et j’ai la peur d’un retour à l’anormal à la rentrée : c’est un prix que je ne désire absolument pas payer.
Dès lors, c’est probablement entre ici et là-bas que nous allons chercher nos essentiels. S’offrir des parenthèses campagnardes, retrouver nos proches, passer des moments simples et beaux avec eux. Aller vers une certaine lenteur, fuir les emplois du temps, se redonner – paradoxalement – le goût de la dernière minute, au jour le jour. Aller à l’encontre des foules, s’éloigner des flux massifs, redécouvrir ce que nous avons à portée de main. S’accorder du temps pour soi, après des confinements où la notion de solitude au quotidien a pu, pour certain.e.s, être une idée simplement impossible.
Bref, je pense que la simplicité, la tranquillité, le goût simple des choses authentiques et banales, seront au centre de nos éventuels voyages. Et je n’attends que ça !